Il a 39 ans et le voilà prisonnier des Portugais dans un petit village du nom de Ega en pleine Amazonie. Son costume ajusté baille, ses bottes qu’il aime avoir bien cirées sont en piteux état tout comme lui. Le lieutenant-colonel, ingénieur militaire de Sa Majesté, est défait.
Il se souvient de son départ pour les Indes occidentales à 20 ans à peine. Comme il est beau dans son costume à épaulettes, prêt à embarquer pour le nouveau continent. Il a 15 ans et il choisit comme son père la carrière militaire, doué pour les mathématiques, il devient rapidement ingénieur. Le travail ne lui fait pas peur. Tous les jours, levé avant le soleil, il inscrit de sa plume d’oie les latitudes, les longitudes, il cartographie. Il a 30 ans quand il trace le plan de la ville de Guayaquil, les fleuves, les routes, les moyens d’approvisionnement, son travail – Description historique et géographique de la province de Guayaquil, du vice-royaume de Santa Fe afin d’accompagner la carte générale de sa région et environs, réalisée par l’extraordinaire Don Francisco R. – est salué jusqu’au XXe siècle par les chercheurs spécialistes de l’Amérique espagnole.
Il a 38 ans quand il franchit les rapides de l’impétueux affluent de l’Amazone le Yapurá, sa mission tracer les limites entre les possessions de la couronne d’Espagne et celle du Portugal dans la région qui va du fleuve Yavarí jusqu’à l’Orénoque. La tâche est ardue et délicate. Dans son Journal de bord daté du 1er août 1782, il décrit ses rencontres avec les Indiens infidèles et anthropophages qu’il apprécie pourtant pour leur connaissance de la forêt, du fleuve et la précision de leurs indications, son esprit scientifique se trouve satisfait. Il se marie à 29 ans avec une demoiselle de la bonne société de Guayaquil afin que cessent les ragots sur leur relation. A 51 ans, malade et épuisé, il supplie le roi de le laisser rentrer en Espagne avec sa femme et ses six enfants et entreprend le voyage de retour. 40 jours de tempêtes où à chaque instant, il pense faire naufrage. Sa femme en perd la raison ; il écrira plus tard qu’il aurait préféré resté en exil dans ces déserts avec sa femme, cinq filles, un fils et ses employés que de supporter pareilles souffrances.
De maintien élégant, il a 80 ans et participe aux fêtes de la cour du roi d’Espagne.