Il a le teint rose et un grand sourire. Il a cinquante cinq ans. Il cherche un autre logement. Le foyer c’est lassant, d’autant que bientôt les chambres seront partagées. Il a soixante-dix-sept ans, il meurt d’un arrêt cardiaque. On l’enterre au cimetière de Thiais. Curieux travail. Sur la petite parcelle de la mère, près de Melun, il plante tous les haricots, il dira longtemps, c’était ma meilleure connerie, on en a eu pour un millier d’euros, on en avait bien besoin. Collecte patiente auprès des travailleurs sociaux, des institutions hospitalières, témoignages au bar de Ménilmontant. Il a sept ans, ravi de la crèche. Il a cinquante ans. Un mauvais esprit semble engloutir l’ensemble de ses revenus. Un autre se refuse à lui en verser. La vie est faite de djinns. Lui porte un gilet et un pantalon de velours. Il a trente ans. Il hante les salles de théâtre, de cinéma. Il adore les vieux films. Il resquille. Il a cinquante-cinq ans. C’est son anniversaire. Il est au café comme tous les dimanches au fond du jardin. Il lève son verre. Et puis merde. Il a vingt-cinq ans, repéré dans un cabaret de Ménilmontant, l’œil qui frise et le béret de travers. Trente cinq ans, le filou perce dans le cinéma et le théâtre, enfin dans le cinéma, l’or de la rampe. Les trente glorieuses, une bonne terre où tout pousse… Il était mytho, il avait raison, alors moi aussi. La vie est faite de gin. Il garde ses éternels pantalons de velours. Cinq ans, dans les bras de la mère, fier comme Artaban, vêtu comme Arlequin. Dix-huit ans. Sur les rives du Bosphore, drôle de période, années soixante-dix, un peu partout le monde tremble. Il se perd dans les yeux d’Eva. Il a soixante ans. Il gère une entreprise de bâtiment, il a réussi à obtenir des capitaux d’investisseurs chinois, il affirme à son voisin qu’il va pouvoir le recruter, pas de problème, mais d’abord il faut partir manifester, pour les classes populaires. Il répète trois fois. Pour les classes populaires.
Codicille : l’extrait de Claude Simon, base de cet exercice, m’a fait étrangement penser au collectif les morts de la rue dont le travail bénévole consiste à recouper les témoignages pour reconstituer la vie des personnes décédées dans la rue, en vue notamment de prononcer leur oraison funèbre.