Elle a 36 ans. Un mari aimant. Deux enfants déjà grands. Elle vit à Lyon. Ses yeux se mettent à rougir, à suppurer. Elle souffre d’une kératite aigue et ne supporte plus la lumière. Nous sommes à quelques jours de la date de sa mort et de sa naissance. J’ai peur de sortir dehors en plein lumière, en pleine chaleur. Je me terre comme un animal ankylosé dans un mal être doucereux et coupable. Elle a 24 ans. Elle est étudiante. Une magnifique et brillante jeune femme. Un professeur de médecine tombe amoureux d’elle. Elle s’administre des piqures diurétiques pour perdre du poids. Il l’emmène en weekend. Il lui demande de se « laisser faire ». Elle le repousse. Il la quitte. Je me sens moche et vieille. Un déchet. L. m’a raconté que des hommes ne cessent de l’importuner dans la rue. En 2024. Vivre la vie d’une femme, parfois c’est insupportable. Elle a 67 ans. Elle est en cure à Meulan. Elle ne boit plus. C’est la star des patients. Les médecins l’adorent. Elle est si honnête, si sincère, si brillante quand elle parle de sa déchéance. Elle donne si bien le change. Nous sommes à quelques jours de la date de sa mort et de sa naissance. Comment ai-je pu croire au miracle ? Comment ai-je pu croire encore une fois aux fables qu’elle me raconte ? Elle a 5 ans. Sa mère l’envoie quémander de l’argent dans la chambre matrimoniale où son père fait la sieste. Elle, si mignonne, sa préférée, va l’amadouer avec ses yeux bleus, sa blondeur et son sourire désarmant. Est-ce là que cela se passe ? Je n’ai aucun moyen de le savoir avec certitude mais cette scène s’impose en moi, comme la trace mémorielle du geste incestueux.