Le jour où j’ai pris le chemin opposé
d’abord ce n’était pas moi, c’est cette collègue, et ce n’est même pas tant cette collègue que le collègue de cette collègue, dans un monde professionnel où les liens humains sont si poisseux qu’on ne sait plus si collègue convient vraiment, cette collègue qui me racontait
devant un café on avait ouvert la fenêtre de la salle de pause la grande fenêtre et on avait sorti la table de cette petite salle la petite table on l’avait mise dans le parking et on était sorti par la fenêtre on avait enjambé la fenêtre et on buvait nos cafés et on fumait nos clopes sur ce parking derrière le bâtiment comme si on était au bar et alors
dans un hôpital psychiatrique, la clinique de Laborde, il faut vivre avec les patients comme on faisait avant dans la grande psychiatrie et il fallait manger avec eux rire avec eux se torcher avec eux pleurer avec eux devenir fous avec eux se raconter avec eux et en réunion ce psychiatre il a pris sa chemise et il a dit mais vous êtes tous tarés je me barre et sans un mot
la fenêtre ouverte et le parking et cette table et nos cafés et ça monte dans le ventre je vois cet homme je le connais pas mais je le vois il a le crâne chauve et des petites lunettes et sa veste trop grande et trop d’humanité ça l’épuise
et le soleil aussi est poisseux et il faut entendre la mort comme la vie avec comme seule perspective ce parking et encore dans mon bureau il y a pas de fenêtre j’ai mis une pauvre photo d’un oiseau dans une barque
échappée pas possible
et je sais que moi aussi il faut que je dise ils sont tous fous
ou que je suis folle
je sais pas encore lequel est l’opposé pour sortir de cette barque.