Le 15 septembre 2008, la banque américaine Lehman Brothers était emportée par la crise des « subprimes « . Comme tout le monde, j’avais assisté médusée au spectacle étrange d’une cohorte de jeunes traders pansus titubant comme des boxeurs sonnés sur le trottoir du Rockfeller Center et s’accrochant aux cubes de cartons qui contenait leurs effets personnels. La chute de Lehman plongea l’économie mondiale dans la tourmente et ma petite entreprise de design et de prospective en ressentit très vite les effets. Du jour au lendemain, il ne se passa plus rien. Nos clients, des grandes entreprises, stoppèrent tous leurs investissements et autres dépenses non indispensables. Un grand gel paralysa les affaires et tous nos contacts se mirent aux abonnés absents. Je me souviens qu’un analyste des études marketing chez Gucci voulut m’acheter une seule page d’un rapport sur les tendances de luxe pour 70 EUR alors que le rapport complet valait quelques milliers d’Euros. C’était très humiliant. Dans mon désarroi, j’ai accepté en octobre 2008 de participer à une conférence à New York pour un magazine de design. Le voyage et la chambre d’hôtel étaient payés et je me suis dit que quelques jours à NYC me feraient du bien. C’est ainsi que je me retrouvais pour ma dernière soirée à New York dans ce bar à sushis de Soho avec mon ami K. Le bar était plongé dans une obscurité sous-marine et dans un angle, une télé allumée égrenait les nouvelles du krach. Un à un les marchés financiers dévissaient, les ménages surendettés perdaient leurs maisons puis l’économie tout entière s’enraya. K insouciant et chanceux comme à son habitude se réjouissait, d’avoir vendu un appartement avant que la bulle immobilière ait crevée. Dans cette ambiance spectrale, j’ai eu la sensation très nette de la fin d’un monde. Quand je suis rentrée en France le jour suivant mon associée m’a demandé comment cela s’était passé et j’ai dit à d’un ton définitif: « Le vieux monde est de l’histoire ancienne. Il faut partir. Maintenant c’est la Chine ». Un an après nous débarquions à Shanghai.
