#anthologie #09 | Rhône

alors je pose mon stylo, et, pour ne pas être tenté de renoncer, je déchire ma copie,

je me lève, le siège se rabat violemment, je ne l’ai pas retenu, l’amphi prend des proportions considérables, tout le monde me regarde, sauf les besogneux dont je fais habituellement partie, eux ils suent sur leurs copies, n’osent pas lever la tête, ils alignent trois idées en trois parties et désespèrent de leurs conclusions, tâcherons, ils ne concluent jamais, le temps joue toujours contre eux, ah s’ils en avaient davantage, ils pondraient des chefs-d’œuvre,

je ne prends pas plaisir à déranger ceux de ma rangé pour atteindre l’allée, j’en connais certains, ils sont sympas, ils m’invitent à des soirées chips et vodka, on se drague un peu, on a beaucoup d’idées, un peu sur tout, surtout sur rien, ils sont sympas, certains me jettent un regard interrogateur et peiné,

pour atteindre la sortie, je suis obligé de passer devant les professeurs qui surveillent, ils se tiennent sur l’estrade, ce n’est pas agréable, j’aurais aimé faire autrement, je ne peux m’empêcher de formuler une sorte d’excuse, je bredouille et achève ma phrase dans un murmure inaudible,

je pousse la première porte de l’amphithéâtre et me tiens un instant dans cet espace, une porte qui se ferme derrière, une porte à ouvrir devant, j’ai  conscience de vivre un moment symbolique, je me retiens de rire, je me mets à pleurer, j’emmerde la symbolique,

je me vois pousser la porte, j’ai conscience du métal de la poignée sous ma main, de la résistance qu’elle oppose à ma poussée, je redoute ce qui se trouve derrière, mais derrière il n’y a rien de particulier, si ce n’est que tout me semble plus dur et plus brillant qu’auparavant

je traverse le hall, puis la cour, je sors de l’enceinte de l’Université, je traverse la rue, m’arrête pour laisser passer un tramway, me dirige vers le quai, le Rhône coule

A propos de Pedro Tarel

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