sa voix ne modulait rien, elle configurait de l’assertion jusqu’au noyau de métal qui formait la demande, d’ailleurs, ce n’était pas une demande, c’était une évidence, à peine une adresse : un constat,
tu rangeras la salle de réunion avant de partir
dit-elle,
et ses mots sont venus s’agglutiner comme grouillent des insectes dans cette partie de ma gorge qui ne sert jamais à rien qu’au stockage, ils ont pris leur place dans la nausée, avec les autres assertions, les autres évidences, les autres constats, tu feras le café ensuite c’est le tien que je préfère, dit-elle, tu ramèneras les livres à la centrale, les classeurs sur mon bureau, la voiture de fonction au garage, dit-elle,
tu rangeras, simple futur simple souillé en douce par l’impératif comme un puissant tâte le cul d’une domestique, en passant, c’est à lui pourquoi ne pas y mettre la main, tu rangeras,
dit-elle,
j’ai pensé aux semaines aux mois passés, à la fourmilière dans l’estomac, le ‘g’ de l’angoisse qui bascule au coeur de la rage, encerclant la glotte, striant d’acide la muqueuse jusqu’à l’éroder, je me suis souvenue des années gavées de oui de bien sûr de volontiers même, de l’adolescence sans éclats sans allure sage jusqu’au prénom comme s’il fallait incarner une étymologie, rendant justice peut-être à une histoire très ancienne qu’on porterait muette, butée en soi, rongée à l’os puis quoi, il faut bien nourrir le béton qui lie les familles, ciment fossilisé,
je faisais enfler ses lâchetés en moi, les miennes,
soudain leurs silhouettes dégoulinaient en pleine lumière, idées molles et squelette en flaques, vertèbres bouffées par les algues,
tu rangeras la salle de réunion avant de partir, dit-elle,
puis le silence d’abord, le silence enfin dans ma tête, le silence qui annonce, c’est le début de l’après, c’est le début du mot qui vient,
non,
je dis,
non.
Dire non, une vrai gageure parfois mais si libératrice, oui j’ai aimé votre texte