c’est ma bouche, je le sais bien, c’est ma bouche toute seule, mes lèvres qui s’ouvrent, ma langue qui remonte d’un coup comme un élastique trop tendu et schlac, ça lâche, ça rebondit, ça s’écrase parfois, la langue qui forme les syllabes toute seule, sans le cerveau, je le sais pourtant, combien de fois ça s’est produit, la langue seule, sans réfléchir d’abord, sans tourner sept fois selon l’usage, le conseil admis, la précaution indispensable, sept fois, c’est pas la mer à boire pourtant, c’est facile, le décompte se fait 7-6-5-4-3-2-1, voilà c’est tout, des fois on se demande d’ailleurs si sept tours ça suffit, là dans la bouche, remuée, ramonée, les mots remontés un à un et bloqués parce qu’on ne sait jamais leur effet, ce qu’ils vont provoquer comme réaction, de choc, de rejet, de tristesse, de colère, quelle émotion, on ne sait pas, les mots, ceux dicibles et ceux qu’il faut éviter à tout prix, ce pouvoir qu’ils ont pour mettre les autres mal à l’aise ou pour les faire sortir de leurs gonds, les mots mieux vaut les rentrer au moins momentanément, bien à l’abri dans la bouche, calfeutrée, bien fermée, double tour, j’y pense et puis j’oublie, à un moment, toute prudence, toute réserve et pfuit, ça glisse, ça sort, sans crier gare, le mot de trop, celui qu’il n’aurait pas fallu, qu’il aurait mieux valu garder pour soi, ou à la place une interjection, un truc pas tout à fait intelligible, qui n’engage à rien, mais ce mot là quand il a fusé, je ne m‘attendais pas à un tel contrecoups, des telles répercussions, le mot plus percutant que je ne pensais, quel impact il a eu, et quelle conséquence de non retour, de dos tourné, suivi de quel sentiment d’échec, de quelle culpabilité non vraiment le mot que je n’ai su rattraper à temps, quel affreuse sensation de débâcle, une catastrophe, en un mot l’accident bête et peut-être même définitif qui laisse une saveur amère dans la bouche maladroite, la bouche qui n’a pas su empêcher le mot.
Impossible de ne pas penser à un atelier! Chacun écrirait la scène, le contexte qui a amené ce mot et cette sensation de débâcle… Merci Perle!
Ah oui, c’est une bonne idée !
arriver à dire/voir tout ce qu’il y a dans un instant ralenti !
Merci Tristan