j’ai pris à droite c’est tout ; à droite en direction de la boulangerie qui fait du pain de pauvre, – du pain de taulard , disait mon père – ; c’est vers le nord, très vite ce n’est déjà plus tout à fait la ville. Sur le parking du garage en face de la boulangerie, Max préparait sa voiture pour la cérémonie, il l’arrosait – le capot noir on aurait dit une mer d’huile – l’enseigne du garage flottait – c’est beau la mer quand c’est tout noir. J’avais pris à droite sans réfléchir : même pas en direction de la mer ; Max ne m’a pas vue, ( j’aurais pu dire que j’allais faire un jogging ) mais Max ne m’a pas vue (en espadrilles ce n’est pas très crédible), Max n’aurait pas remarqué mes espadrilles. Ton cousin ne connait que sa bagnole et son chien : un con, disait mon père. Je l’aimais bien Max – ce qui se scelle dans les premières années de l’enfance : nos jeux… des fois on se touchait, sa limace entre mes doigts j’aimais bien. J’ai pris à droite en direction de la boulangerie puis à gauche – après le parking ça monte–, j’ai dépassé la maison à vendre depuis que… (ces enflures de Rom ; de la pourriture et tu veux frayer avec ça )… ( fais pas ta conne disait mon père et Vlan ça tombait)… Quand il aurait fallu donner un coup de pied dans la soue j’ai pris à droite, puis à gauche : c’est tout. Je marchais depuis… ( au soleil au moins trois heures)… – ces heures des premières fois est-ce qu’elles sont vraiment plus longues ? la corde de mes espadrilles brûlait ( la peau avait dû commencer à se défaire). L’homme était assis en bordure de route, calé dans un pliant à dossier, son corps me cachait l’entrée du chapiteau arc en ciel : Fais chaud – il tirait sur un cigare – faut pas rester au soleil comme ça sans boire… et qu’est-ce qui vous amène? on a de quoi à l’intérieur ( ma peau avait dû commencer à ) : un ventre énorme. Et puis il a claqué dans ses doigts, et tout s’est enchainé; une fille est sortie – une drôle de tête, et minuscule avec ça –, elle m’a tendu une gourde : il nous manque quelqu’un tu veux tenter? – je ne sentais plus mes pieds –, nourrie, logée plus un pourcentage sur les entrées. Il a encore claqué des doigts, un gars en maillot m’a apporté une pelle et un seau : tu commenceras par les chevaux après on verra… C’est le soir que j’ai compris, il y avait un tub pour se laver : les orteils avaient commencé à se souder…
9 commentaires à propos de “#anthologie #09 | le chapiteau”
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(la limace, c’est l’argot pour chemise, je suppose)
une otarie ? non ?… :°))
(un peu de « Strada », un peu de « Nuit des forains » – et peut-être un peu de « Freaks »…)
oui oui c’est la chemise et même dessous… ( revoir ces films merci Piero)
Ces mots, ces images : » du pain de pauvre, – du pain de taulard », « c’est beau la mer quand c’est tout noir », « ces heures des premières fois est-ce qu’elles sont vraiment plus longues ? ».
Les espadrilles.
Les interventions du père.
Beau, très beau ce texte. très vivant.
Surtout, n’arrête jamais d’écrire !
Merci.
Chère Annick tellement merci !
Ah mais que tout est là et embarque dans la roulotte ! Grande envie d’en savoir le nom ( de la cousine du Max à la limace !)
( le nom j’aimerais bien l’avoir sur le bout de la langue) Merci du passage Jacques
Merci Nathalie. Emportant. Et l’on s’inquiète pour cette curieuse qui brave le père et les interdits.
Merci Ugo
ah oui, même ambiance que pour Piero mais en plus contemporain, Fish tank aussi. le coté errance sans doute, de marcher sans but, un peu au hasard, et le cheval.