C’est un soir du mois de juin que j’ai décidé de prendre le chemin opposé, le chemin opposé de la maison, ce soir-là et, à partir de ce soir-là, les autres soirs, j’ai décidé de ne pas rentrer chez moi,
sans l’avoir même prémédité à un quelconque moment avant ce soir de juin, juste là, ce soir de juin donc, en me garant devant chez moi, j’ai décidé de faire demi-tour, de redémarrer et de partir dans le sens opposé pour ne plus revenir,
certains diraient sur un coup de tête, je dirais plutôt sur une impulsion du corps, oui, là, devant chez moi, devant les lumières allumées de la galerie et de la cuisine, sans ombre, sans silhouette visibles, mon corps a tout bonnement refusé de faire les gestes répétés, quotidiens, garer la voiture, éteindre le contact, sortir les quelques courses du jour, le sac à main, fermer la portière, verrouiller les portes et franchir les quelques marches qui mènent à la galerie, car pour cela, il aurait fallu que les mains, le buste, les jambes, les pieds le veuillent,
la tête quant à elle, inapte, comme engluée dans la gangue du quotidien, désolidarisée du corps, absente au corps, morceau du corps à côté du corps, plus même capable de savoir quoi faire, quoi dire, quoi penser, juste capable de sentir le corps partir en regardant encore dans l’autre sens, comme lorsque l’on s’assoit dans la marche inverse du train et que l’on regarde ce que l’on quitte, le point de départ en face,
quand le corps, lui, ne se retourne pas, ne regarde pas en arrière et jette le tout en avant,
alors oui ce soir-là c’est le corps qui a refusé de rentrer chez moi, de retrouver mon mari et mes deux enfants de six et quinze ans, c’est mon corps qui a redémarré, fait demi-tour et qui est parti avec la tête et les courses dans l’exact sens opposé,
qui a roulé, roulé, roulé, dans l’exact sens opposé donc et, à force de rouler rouler rouler le corps a fini par buter contre la mer, le corps a eu encore la force d’éteindre le moteur, d’éteindre les phares, et c’est seulement, là, dans l’exact sens opposé, dans la nuit opaque sans étoiles ni lune, sous la faible lumière d’un réverbère, c’est seulement là que la femme que j’étais alors a explosé en mille morceaux,
tête et corps confondus explosés
une femme morcelée, voilà ce que j’étais face à la mer, noyée dans les larmes qui ne s’arrêtaient plus de couler,
oui, alors, ce soir de juin, je n’étais plus qu’une femme-larme morcelée
J ‘aime ce texte dans l’intime d’une conscience, j ‘ai aussi eu cette inspiration , cette thématique, mais d’un autre point de vue…
Merci Carole pour ton retour. Je m’en vais de ce pas lire ton texte…