il n’y a pas d’instants où j’ai pris le chemin opposé, où je suis notablement sorti du rang ; j’ai toujours suivi la ligne, soit celle que l’on traçait pour moi, soit celle que l’on me conseillait de tracer, soit celle que je traçais dans l’aval avant de remonter la pente pour la suivre,
c’est un triste constat : si mes copains prenaient le bus, je prenais le bus ; si les parents voulaient que je devienne ingénieur, je les laissais m’inscrire à l’école,
plus je vieillis, plus je me crispe, moins le lâcher-prise devient envisageable — le coup de tête n’en est jamais un, je vis casqué, je regarde, j’analyse, et je me lance,
il y a peut-être ces minuscules tatouages qui témoignent d’une envie de nager à contre-courant, mais ils n’ont eu absolument aucune conséquence sur la suite,
j’ai pourtant la nette impression d’être monté à l’envers, d’avoir une vision décalée de ce que je vis, de ce que je suis, et l’on me renvoie souvent cette image, mais je n’ai jamais utilisé ce décalage pour faire écart dans le réel,
ou alors, peut-être, c’est le fait de choisir d’entrer dans l’écriture — de désigner cette activité comme le centre qui attirerait à lui tout le reste, laissant les particules les plus légères aller se perdre dans le cosmos — qui se rapproche le plus d’une sortie de piste véritable,
effectivement, ça doit être ça : le jour où j’ai décidé que ce serait par ça que je consumerais mon temps, ça qui me hanterait, qui ferait que ma tête ne serait plus jamais vide ; que ça deviendrait la priorité, que ça compterait un peu plus que tout le reste,
j’aimerais que cette décision soit plus franche encore,
mais j’imagine que c’est le genre de demi-tour qui est plus demandant que de s’éloigner d’un arrêt de bus,
J’ai aimé la franchise, le regard droit en dedans de soi. Merci pour ce beau texte !
Merci pour la lecture, Helena. Beaucoup aimé « ton ciel immensément bleu ».