J’étais assise sur la terre, et des petits cailloux me faisaient, non ne me faisaient pas tout à fait mal mais je les sentais, et appuyée sur cette sensation mon esprit divaguait à partir de ce que disaient ces voix qui s’interrogeaient sur mon avenir,
une voix, celle de cette femme qui m’était seconde mère, qui pensait qu’elle me connaissait, qu’elle était seule pour cela, et comme elle le disait je choisissais de croire que c’était sans doute vrai, a parlé de l’Ecole des Chartes,
la voix plus familière, celle que les étrangers confondaient avec la mienne, et moi je ne comprenais pas comment ils le pouvaient, a répondu en hésitant que je n’avais pas fait de grec et dans son timbre j’ai senti le reproche, oui bien entendu c’était ma faute, c’était parce que je n’aimais pas la nonne chargée du latin en troisième et que pendant un an j’avais rendu des copies blanches ou qui ne valaient guère mieux que je n’en avais pas été jugée digne, mais peut-être a ajouté la voix l’Ecole du Louvre,
et là mon oreille a frémi, enfin pas mon oreille mais le coin du cerveau qui les entendait, l’aimais le Louvre, aimais chacun des moments où j’avais pu y trainer ma liberté et mes yeux et me suis perdue dans un mélange de vases grecs ceux à fond noir et puis leurs contraires, et les formes, et le grand corps blanc sur les genoux d’une vierge comme une géométrie, et un gant peint et,
j’ai pensé érudition, et tout mon corps en a tremblé sans que ça se voit,
j’ai levé la tête et j’ai dit je veux être architecte,
même les cailloux se sont tenus tranquilles comme les fourmis qui traversaient mon coin de terre, il y avait juste une branche qui remuait contre un parasol et le silence soudain, qui a duré,
non qui n’a pas duré vraiment, rien ne peut interrompre longtemps une conversation d’après-midi d’été sous un parasol, il y a eu une interrogation, un pourquoi qui signifiait que c’était insensé,
je ne sais pas dit mon cerveau et ma bouche baille comme celle d’un mérou surpris dans sa cache, une réponse se cherche mais avant que les mots ne viennent parce que votre Bernard le tente dit la voix qui est presque mienne, j’ai posé une brindille en travers du chemin des fourmis en refusant de rougir,
je savais que ce n’était pas cela qui avait parlé en moi ou pas complètement, pas vraiment, la voix d’homme a répondu que Bernard avait fait math élem alors que ce qu’on fêtait, une idée idiote on ne fêtait rien, c’était mon succès en philo,
on fêtera ça plus tard ma chérie, a dit la femme, j’ai relevé la tête et j’ai grimacé un sourire, elle a continué par une interrogation qui appelait un non est-ce que c’est important les maths pour être architecte à laquelle deux voix masculines ont répondu que oui,
j’ai appuyé ma main sur les cailloux, me suis promis que je leur prouverai leur tort, que bien sûr c’était sans doute important les maths mais que moi je n’avais qu’à vouloir apprendre et puis que ceux qui avaient créé les absides à chapelles rayonnantes d’Auvergne ou la géométrie du clocher et du cloître contre le ciel et la forêt au Thoronet n’avaient certainement pas leur bac,
ils expliquaient pourquoi, elle a posé une question sur les voitures choisies pour la soirée chez les X,
je me suis levée, je suis rentrée dans la fraîcheur de la maison, je savais qu’elle gagnerait.
J’ai beaucoup aimé le mélange de tous les niveaux dans ce petit instant tellement décisif : passer des petit cailloux aux gestes puis aux pensées du personnage, les voix extérieure puis retour au tout près, aux fourmis – quelque chose d’un rythme qui a bercé ma lecture
merci – c’est la consigne qui veut ça je oense