je marchais d’un pas résolu, celui d’un jeune homme décidé à en découdre avec la vie, d’en découdre, certes, mais pas comme chacun l’entend, pas comme mes parents l’entendaient, pas comme mon père l’entendait, mais comme moi, je la veux, comme moi je la décide… c’est peut-être eux qui commandent mais c’est moi qui décide,
je marchais d’un pas leste, celui d’un homme à qui tout réussi, selon les critères de la bonne société, celle qui a raison, qui ne se trompe jamais, qu’il faut suivre donc, et je la suis, je la suis allégrement, avec complaisance, longtemps je la suis,
et puis ce grain de sable, une miette de coquille, de granit, de corail ou autre, mais de toute façon un grain, ou une miette, ou un débris, un fragment granulaire, un presque rien, qui ne pèse presque rien, qui n’alourdit pas la démarche, qui s’installe insidieusement, qui ne gêne pas, qui ne gênait pas,
il a pris une couleur fluorescente, de celles qu’on utilise pour surligné des extraits de texte, une couleur qui dit qu’il ne faut pas passer à côté,
ce n’était pas suffisant, il a grossi, gonflé, enflé, boursoufflé, occupant tout l’espace vide de ma vie, surlignant tous ces espaces vides, tout en ricanant, un rire jaune,
je marchais d’un pas lourd, celui d’un vieux qui traine les lambeaux de sa vanité, épuisé par le manque de souffle, j’ai poussé la porte du troisième âge, épuisé par le manque de souffle, j’ai regardé dans les placards de ma vie, ça sent la lavande, le bien repassé, le bien rangé, ça sent le propre,
c’est cette odeur qui m’a poussé dans la rue, oui madame, croyez-moi … c’est cette odeur … une odeur de propre !
C’est magnifique Claudine, très émouvant, ces pas de la vie, merci.