Je n’ai pas fait de nœud au fil, je n’ai pas coupé le fil, je n’ai pas rangé le fil, je n’ai même pas rembobiné le fil, je ne l’ai ni suivi conservé ou tenu, parce que ça aurait été la marque d’une distance ou bien d’une exigence, ou d’un surplomb, comme l’idée de poser ses conditions, je ne pose pas de conditions, je n’ai pas de conditions ou bien je les ai toutes, tout cela rangé sous l’appellation ‘solitude’ dans le sens où je suis toujours seule, ou bien jamais, ce qui explique la sensation de cette substance boiteuse, collante que j’ai toujours connue depuis mon tout premier balbutiement, je voudrais être claire, quand j’ai balbutié la première fois j’étais seule, une comète sans rondeur dans l’espace, et informe, car seulement lancée, et quand on est lancé comme ça la forme n’a pas d’importance, c’est le mouvement seul qui fait forme, j’ai toujours été seule dans ma lévitation de rien, à balbutier, mes pieds ne touchant pas le sol, mes mains ne touchant pas les bords, cette substance totalement vide du seul qui fait vertige m’a été octroyée comme la couleur des yeux ou des cheveux, et je n’ai pas choisi ce qui gît au profond, profondément relié à d’autres germes, à d’autre solitudes qui fabriquent une chaîne, une chaîne reliée aux solitudes premières, car je constate qu’en étant seule je ne le suis jamais, étant faite d’additions, de solitudes qui s’ajoutent, et qui m’ont été octroyées comme la couleur des yeux ou des cheveux, des solitudes accompagnées, et que j’aime ce mot, accompagnée, je suis accompagnée de mes solitudes vivantes et de mes morts, de la longue chaîne de mes morts de débuts de comètes, toutes mes morts de big-bang et puis d’après, la mère de la mère de mon père dans une robe de drap noir, le père de la mère de ma mère avec ses chèvres et ses bras secs, accompagnée de toutes mes morts amies, mes morts reliées par la chance de l’amour, l’amour de les penser, et bien au-delà, accompagnée des morts au large, celles qui allument une cigarette dans un film, écrivent un poème dans une chambre, dessinent au pinceau sur une table, portent un bandage sur le front, collectionnent les parapluies ou chantent, j’ai tant de morts qui chantent, et qui fabriquent chacune leur propre chaîne, en déploiement, et je suis seule et jamais seule accompagnée de mes vivants, la fille de la fille du fils, l’enfant de la petite-fille, accompagnée de toutes les solitudes des miens, que je ne peux pas décrire, que je ne peux pas réduire, qui sont in-réduisibles, c’est pourquoi étant seule et ne l’étant jamais, étant seule au profond du premier germe d’existence, et jamais seule au plus profond du germe d’avant le germe qui m’a fait naître, je suis d’une lignée de fil sans nœud et sans coupure, qui n’a pas de distance ni d’écart, qui ne sait que raccommoder, ou ramasser, retaper, repeindre et réparer, un fil commun, et identique à d’autres fils et ficelles pas plus extraordinaires et tout autant, rien qu’un fil c’est déjà extraordinaire, rien que vivre est déjà extraordinaire, rien que d’avoir vécu est extraordinaire, je suis un fil fragile fait d’autres fils fragiles, je suis un fil tenace fait d’autres fils tenaces, sans distance et sans conditions, sauf quand, sauf quand les verbes rompre effacer et détruire surgissent portés par des fils poisse je leur tourne le dos, des fils acides je leur tourne le dos, moi et le fil de ma lignée tournons le dos à ce qui est résolu à détruire tant il est incapable de se penser molécules de comète lancée dans rien, dans mes épaules se serrent d’autres épaules, je tourne le dos seule et non seule du fait du nombre de dos tournés de ma lignée, incalculable.
Un commentaire à propos de “#anthologie #09 | fil”
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.
(wabi-sabi) (il y avait raku aussi) (accompagnée, oui) (merci Christine)