#anthologie #09 | Envol

Réécrit au présent le 29 07 2024 :

Le jeune personnage que n’importe quel acteur jeune peut incarner descend comme chaque matin la rue qui longe le cimetière et cette rue existe toujours, s’y rendre pour repérage pour mieux appréhender ce qui s’échafaude dans sa tête depuis plusieurs matins, depuis qu’il est entré chez ce grand cimentier au service logistique des transports en sac ou en vrac : le bureau, les bons de commande, les tournées des camions pour la journée, la secrétaire qui le prend pour un enfant et lui explique comment remplir les documents de livraisons avec concision en articulant chaque mot comme s’il parlait une langue étrangère, la rue le long du cimetière chaque matin jonchée de toutes ses réflexions, de ses détritus qu’il frappe du pied, un but à marquer jusqu’à l’arrêt du bus cent quatre-vingt-deux qu’il voit arriver lentement puis s’arrêter devant lui, les portes s’ouvrent, il fait signe au chauffeur qu’il ne montera pas, les portes se referment, le bus passe, et il rit intérieurement, il a peut-être en dernier recours une excuse : le bus vient de le rater, il a déjà fait le coup une fois alors qu’il était encore au lycée, les conseillères d’éducation n’avaient pas ri, agacées que l’un d’entre eux s’échappe, les personnes assises dans le bus le regardent curieusement planté sur le trottoir, il voit les choses ainsi, tout juste les passagers sont-ils certainement surpris qu’il ne monte pas dans le bus au moment où celui-ci s’arrête, et qu’il décide de ne pas y monter et d’aller tout de suite dans une agence de voyages prendre un billet d’avion pour Madrid, sa décision est prise bien qu’il n’a pas encore touché sa paie et n’a pas un sou pour se payer les billets, il tente d’expliquer à l’employée de l’agence qu’il sera payé en fin de semaine et celle-ci marque une hésitation avant de poursuivre la vente des billets, alors il ment : sa tante très aimée et très âgée n’en a plus pour longtemps donc il doit partir le lendemain pour Madrid, l’employée de l’agence qui en fait en est la patronne semble le croire puis aussitôt se ravise et demande une copie de sa carte d’identité avant de dire : vous paierez à votre retour, il sent alors, non pas, qu’il a gagné, mais seulement qu’il peut partir, que le moment de tension c’est décompressé en un instant, que cette femme n’est certainement pas idiote et qu’elle a bien compris, peut-être même que le matin elle a envie de partir elle aussi loin d’ici, cela il se le dira en fait bien des années plus tard, les seuls évènements qui comptent ce jour-là sont qu’il puisse partir : qu’il obtienne des billets pour Madrid, qu’il remonte le cimetière par son allée centrale jusque chez lui, que vers une heure du matin il est prit d’une angoisse terrible, il se surprend à douter, il fait peut-être un mauvais choix, il a peur comme s’il allait mourir, se tord les mains, tourne en rond, il voit un trou béant et sombre s’ouvrir devant lui qui s’illumine quand enfin il annonce qu’il part dans quelques heures pour Madrid, qu’il faut l’accompagner à l’aéroport, si c’est possible ajoute-t’il au milieu des questions, qu’il parte enfin avec son père dès l’aube pour l’aéroport, au moment de se dire au revoir son père pleure.

Première version :

Le jeune personnage que n’importe quel acteur jeune peut incarner descendit comme chaque matin la rue qui longeait le cimetière et cette rue existe toujours, s’y rendre pour repérage pour mieux appréhender ce qui s’échafaudait dans sa tête depuis plusieurs matins, depuis qu’il était entré chez ce grand cimentier au service logistique des transports en sac ou en vrac : le bureau, les bons de commande, les tournées des camions pour la journée, la secrétaire qui le prenait pour un enfant et lui expliquait comment remplir les documents de livraisons avec concision en articulant chaque mot comme s’il parlait une langue étrangère, la rue le long du cimetière chaque matin jonchée de toutes ses réflexions, de ses détritus qu’il frappa du pied, un but à marquer jusqu’à l’arrêt du bus cent quatre-vingt-deux qu’il vit arriver lentement puis s’arrêter devant lui, les portes s’ouvrirent, il fit signe au chauffeur qu’il ne monterait pas, les portes se refermèrent, le bus passa, et il rit intérieurement, il avait peut-être en dernier recours une excuse : le bus venait de le rater, il avait déjà fait le coup une fois alors qu’il était encore au lycée, les conseillères d’éducation n’avaient pas ri, agacées que l’un d’entre eux s’échappa, les personnes assises dans le bus le regardèrent curieusement planté sur le trottoir, il vit les choses ainsi, tout juste les passagers étaient-ils certainement surpris qu’il ne montât pas dans le bus au moment où celui-ci s’arrêta, et qu’il décidait de ne pas y monter et d’aller tout de suite dans une agence de voyages prendre un billet d’avion pour Madrid, sa décision était prise bien qu’il n’eût pas encore touché sa paie et n’eût pas un sou pour se payer les billets, il tenta d’expliquer à l’employée de l’agence qu’il allait être payé en fin de semaine et celle-ci marqua une hésitation avant de poursuivre la vente des billets, alors il mentit : sa tante très aimée et très âgée n’en avait plus pour longtemps donc il devait partir le lendemain pour Madrid, l’employée de l’agence qui en fait en était la patronne sembla le croire puis aussitôt se ravisa et demanda une copie de sa carte d’identité avant de dire : vous paierez à votre retour, il sentit alors, non pas, qu’il avait gagné, mais seulement qu’il pouvait partir, que le moment de tension c’était décompressé en un instant, que cette femme n’était certainement pas idiote et qu’elle avait bien compris de quoi il s’agissait, peut-être même que le matin elle avait eu envie de partir elle aussi loin d’ici, cela il se le dit en fait bien des années plus tard, les seuls évènements qui comptèrent ce jour-là furent qu’il puisse partir : qu’il obtint des billets pour Madrid, qu’il remonta le cimetière par son allée centrale jusque chez lui, que vers une heure du matin il fut pris d’une angoisse terrible, il se surprit à douter, il faisait peut-être un mauvais choix, il avait peur comme s’il allait mourir, se tordait les mains, tournait en rond, il vit un trou béant et sombre s’ouvrir devant lui qui s’illumina quand enfin il annonça qu’il partait dans quelques heures pour Madrid, qu’il fallait l’accompagner à l’aéroport, si c’était possible avait-il ajouter au milieu des questions, qu’il partit enfin avec son père dès l’aube pour l’aéroport, au moment de se dire au revoir son père pleurait.

A propos de Romain Bert

J'écris pour mieux lire.