Je m’insurge contre le le terme Trame de la vie, car que vient faire la trame dans l’évocation du temps pour que nous ses amies puissions dire Elle vit.
Quand la chaîne constitue ce qui fera la longueur du tissu, on ne dit pas la chaîne de la vie, pourtant je vais à l’opposé et je suis du côté de la chaîne, solide et droite, installée patiemment sur le métier, roulée et déroulée au fur et à mesure du tissage, elle est la force du tissu, en rien sa fantaisie, je reste résolument de son côté, geste de fils tendus, enchâssés dans la trame, soutien indispensable et pourtant à l’oubli.
La trame est ce fil qui chemine dans la largeur du tissu, ce fil qui de gauche à droite et selon un rythme, passe par-dessus et par-dessous, les fils de trame, croisant la chaîne, transformant l’agencement des fils alignés de la chaîne en une surface, il y a du beau quand du multiple né le un, la matière à travailler, à découper, à coudre, cette nécessité de vêtir le corps, couvrir les murs, tapisser les coffres, protéger les petits, accompagner les rituels, les moments clefs, mariages et enterrements, cérémonies ancestrales, rites des mystères.
On dit que la trame et la chaîne donne au tissu son armure, à la trame les péripéties, les directions prises, les rencontres de nos vies des vies uniques, à la chaîne d’en définir la durée, le commencement et la fin, il aurait fallu dire la chaîne de la vie, solide, base, et maintien de l’indispensable du temps dont chacun dispose, le nombre d’année à ajouter à son âge jusqu’au dernier.
Il faudrait chercher, mais je ne ferai pas, faites-le si le cœur vous en dit, faites le, mais ne me dites rien, ne venez pas m’expliquer, me donner des raisons de nommer Armure la façon dont les fils de chaîne et les fils de trame sont entrecroisés d’une manière spécifique et dans un ordre donné, et comment se sont propagées les trois sortes d’armures, puis les quelques armures dérivées.
La méthode de croisement perpendiculaire de fibres, les unes dans la longueur, les plus solides, formant la chaîne et les autres en aller et retour formant la trame, les variations d’alternance de l’armure : toile ou tafferas, serge ou diagonale, satin ou atlas, sont utilisées depuis toujours par les humains, on le découvre et le confirme avec les premiers tissus trouvés dans les tombes, examinés, reproduits, dessinés, pris en photo, numérotés et archivés, tissus premiers fragiles, cibles de parasites avides de cellulose, mites, mouches, vers, champignons, gardés dans des salles réfrigérées, protégés dans des tiroirs, sous des papiers de soie, manipulés avec des gants blancs, immaculés et propres, bouillis sans détergent.
La chaîne est le fil le plus solide d’un tissu, l’ossature d’un tissu, reconnaître ce fil, le droit fil est indispensable à la couture, le droit fil est ce qui définit le sens de la découpe du tissu, pour ce qui est de sa vie, elle a été découpée dans le droit fil, sa vie découpée sur le droit fil en lanières plus ou moins étroites, les motifs dessinés par la trame reconnaissables d’une bande à l’autre par fragments séparés, coupés au droit proprement, sans possible reprise, on le raconte et il y a une tête ici et le bas d’un corps là, une montagne ici et son sentier d’approche là, une amie là et une autre ici, les bandelettes de sa vie sont étroites, nous faisons partie de l’une ou de l’autre, nous nous faisons signe de loin, nous apparaissons un jour dans le motif dessiné par la trame et nous disparaissons un peu après.
Elle, notre amie, découpe en suivant le droit fil des sections de sa vie, elle taille droit et nous savons que notre temps est compté, nous découvrons un matin de mars que le sien aussi va l’être, avant l’heure objective, avant le temps escompté, et le droit fil des clivages n’y suffira plus, la chaîne est dévorée par le soleil avide, sa vie sera taillée à contre fil par la tâche noire sur sa jambe, une coupe irrégulière et effilochée.