#anthologie #08 | NO doors

Depuis longtemps, bien longtemps, nous n’avons plus de portes. D’abord parce que les crises de T les ont tellement claquées, frappées, dévastées, démontées, à coups de poings, de pieds, de pieds poings liés, grand marteau sous les crises – elles ne ferment plus, elles battent de l’aile sur le seuil, on les bloque grand ouvertes contre le mur, avec des chaises, des paniers, des godasses. Rien n’entrave les allées et venues, la circulation de l’air. On rentre chez nous comme dans un moulin. Les fenêtres aussi sont ouvertes toute la nuit. On n’a pas de chien de garde. Ni cloche, ni sonnette. Juste un chat qui dort. Parfois, les gens rentrent, et cela surprend. On ne les a pas entendus. T peut cogner dur quand il rentre en crise. Alors ils n’osent pas. Mais des fois, certains n’hésitent pas. Ils sautent par le fenêtre, ils glanent tout ce qu’ils peuvent. Surtout des jeux vidéos. Il n’y a pas grand-chose à voler, à part les jeux vidéos. Les livres, c’est toujours trop lourd. Ça se revend pas. Les livres ça se détruit. Au CDI de mon lycée, ils ont envoyé au pilon plus de 300 livres. Je veux quitter mon lycée. On n’y lit plus, on y rigole. On se marre. Rien ne me fait plus rire. Les enfants sages qui rient. Heureusement le théâtre – on y pleure, on y crie. Je regarde la porte grand ouverte. Il fait froid aujourd’hui, on a perdu 6 degrés depuis hier soir. Je vais me promener avec T, je vais fêter son anniversaire, on va acheter des gâteaux. On va pour sortir – et ils sont là. Les voisins, leurs yeux méchants. Les reproches des voisins. On n’a plus de jardin, c’est devenu un pré, un champ en friche, on n’a pas idée de laisser ça se développer, surtout que « ça vient jusque chez eux ». Le chienlit. Le foutre. La pisse de T contre leurs haies. Je serre le bras de T. Faut pas discuter. Viens vite. On prend la porte, on court, on crie, on saute dans le temps. La friche du monde à travers jambes.

A propos de Françoise Breton

aime enseigner, des lettres et du théâtre, en Seine-Saint-Denis, puis en Essonne, au Cada de Savigny, des errances au piano, si peu de temps pour écrire. Alors les trajets en RER (D, B, C...), l'atelier de François Bon, les rencontres, les revues, ont permis l'émergence de quelques recueils, nouvelles, poèmes. D'abord "Afghanes et autres récits", puis en revues "Le ventre et l'oreille", "Traversées", "Cabaret", "La Femelle du Requin"... Mais avant tout, vive le collectif ! Création avec les anciens élèves d'Aulnay-Sous-Bois de la revue numérique Les Villes en Voix, qui accueille tous les textes reçus, photos, dessins, compositions sonores...

4 commentaires à propos de “#anthologie #08 | NO doors”

  1. C’est bienvenu cet éclatement de l’espace clos. Il raconte en même temps un autre enfermement, impossible à rompre, celui-là, mais qui peut au moins être traversé par la joie sauvage de la dernière phrase. J’ai vu que tu poursuivais avec T. C’est un personnage familier?

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