Depuis longtemps, bien longtemps, nous n’avons plus de portes. D’abord parce que les crises de T les ont tellement claquées, frappées, dévastées, démontées, à coups de poings, de pieds, de pieds poings liés, grand marteau sous les crises – elles ne ferment plus, elles battent de l’aile sur le seuil, on les bloque grand ouvertes contre le mur, avec des chaises, des paniers, des godasses. Rien n’entrave les allées et venues, la circulation de l’air. On rentre chez nous comme dans un moulin. Les fenêtres aussi sont ouvertes toute la nuit. On n’a pas de chien de garde. Ni cloche, ni sonnette. Juste un chat qui dort. Parfois, les gens rentrent, et cela surprend. On ne les a pas entendus. T peut cogner dur quand il rentre en crise. Alors ils n’osent pas. Mais des fois, certains n’hésitent pas. Ils sautent par le fenêtre, ils glanent tout ce qu’ils peuvent. Surtout des jeux vidéos. Il n’y a pas grand-chose à voler, à part les jeux vidéos. Les livres, c’est toujours trop lourd. Ça se revend pas. Les livres ça se détruit. Au CDI de mon lycée, ils ont envoyé au pilon plus de 300 livres. Je veux quitter mon lycée. On n’y lit plus, on y rigole. On se marre. Rien ne me fait plus rire. Les enfants sages qui rient. Heureusement le théâtre – on y pleure, on y crie. Je regarde la porte grand ouverte. Il fait froid aujourd’hui, on a perdu 6 degrés depuis hier soir. Je vais me promener avec T, je vais fêter son anniversaire, on va acheter des gâteaux. On va pour sortir – et ils sont là. Les voisins, leurs yeux méchants. Les reproches des voisins. On n’a plus de jardin, c’est devenu un pré, un champ en friche, on n’a pas idée de laisser ça se développer, surtout que « ça vient jusque chez eux ». Le chienlit. Le foutre. La pisse de T contre leurs haies. Je serre le bras de T. Faut pas discuter. Viens vite. On prend la porte, on court, on crie, on saute dans le temps. La friche du monde à travers jambes.
4 commentaires à propos de “#anthologie #08 | NO doors”
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J’ai aime ce texte fort, la force des mots – texte qui résonne
Un grand merci Caroline !! C’est généreux d’avoir pris le temps de me lire ! Vos remarques me touchent… Et vais cette nuit découvrir vos textes ! Belle journée à vous
C’est bienvenu cet éclatement de l’espace clos. Il raconte en même temps un autre enfermement, impossible à rompre, celui-là, mais qui peut au moins être traversé par la joie sauvage de la dernière phrase. J’ai vu que tu poursuivais avec T. C’est un personnage familier?
Tellement reconnaissante chère Emmanuelle de tes mots voyants