#anthologie #08 | l’instant précis où j’ouvre la porte

La poignée ressemble à ces porte-manteaux en métal qu’on accroche au mur. Je me suis toujours demandé à quoi pouvait servir un porte-manteau fixé à hauteur de nombril. Un enfant devait dormir ici. Je suis allongé sur mon lit, le dos calé sur deux oreillers, je lis le Journal de Kafka et je vois ce porte-manteau que je n’avais jamais vu qui ressemble à une poignée sur le mur de ma chambre. Je pose mon livre et mes lunettes, je me lève, je m’approche. Je regarde ce porte-manteau, j’imagine la poignée. Je la touche, j’essaie de l’actionner. Je la tourne sur elle-même, une porte s’ouvre.

Je n’avais pas remarqué la fissure. Trois fissures, plus exactement. Parfaitement rectilignes, deux verticales parallèles d’égales longueurs partant du sol sur deux bons mètres et une horizontale perpendiculaire reliant les sommets des deux premières. Je suis allongé sur mon lit, le dos calé sur deux oreillers, je lis le Journal de Kafka et je vois cet encadrement sur le mur blanc de ma chambre que je n’avais jamais vu. Je pose mon livre et mes lunettes, je me lève, je m’approche. De l’extrémité de mon index, j’étudie la fissure, j’en fais le tour. Elle est fine, un millimètre tout au plus, mais profonde. Il me semble percevoir un filet d’air qui s’en échappe. Je pousse le mur entre ces trois traits, il se déplace lentement, une porte s’ouvre.

Le paquet de mouchoirs est tombé derrière le cube en bois qui me sert de table de nuit. Je me penche, déplace légèrement le meuble et le retrouve posé sur une plinthe. Une curieuse plinthe, plus volumineuse que ses voisines. Je suis allongé sur mon lit, le dos calé sur deux oreillers, j’étais en train de lire le Journal de Kafka et je vois cette plinthe que je n’avais jamais vue qui ressemble à une porte miniature, derrière la table de nuit dans ma chambre. Je pose mon livre et mes lunettes, je me glisse, je m’approche. Je déplace un peu plus l’encombrante table de nuit. Je la scrute, l’étudie. J’aperçois une petite poignée sur le bord, je l’actionne, une porte s’ouvre.

Je pousse légèrement la porte pour regarder ce qu’il y a derrière. C’est un espace sombre. Il me semble qu’il y fait un peu plus froid, que l’air est sec. Je prends ma lampe frontale pour tenter d’y mieux voir. La lampe éclaire le début d’un couloir dont les murs sont grossièrement blanchis. Le plus étrange n’est pas d’avoir découvert cette porte. Le plus étrange est que cette porte est posée sur un mur qui sépare ma chambre de l’extérieur. Je regarde par la fenêtre de ma chambre qui se trouve à côté de la porte et le grand chêne est toujours là. Je pense alors aux Navidson qui, en rentrant chez eux un soir, ont découvert qu’une nouvelle pièce avait surgi dans leur maison.*

* Remerciements éternels à Mark Z. Danielewski et à La Maison des feuilles.

A propos de JLuc Chovelon

Prof pendant une dizaine d'années, journaliste durant près de vingt ans, auteur d'une paire de livres, essais plutôt que romans. En pleine évolution vers un autre type d'écritures. Cheminement personnel, divagations exploratives, explorations divaguantes à l'ombre du triptyque humour-poésie-fantastique. Dans le désordre.

4 commentaires à propos de “#anthologie #08 | l’instant précis où j’ouvre la porte”

  1. « un porte-manteau (fixé) à hauteur de nombril  » la phrase remue. heureusement le grand chêne est encore là. Merci Jean Luc

  2. Complètement d’accord avec Solange le fait de retrouver le même motif presque les même phrases et d’offrir une fin différente à chaque fois, c’est de là que surgit pour moi l’étrange

  3. Je me doutais que la consigne t’inspirerait, et je ne suis pas déçue. Ce mélange de fantastique d’autant plus fort qu’il n’est que suggéré, et de très concret (« Je prends ma lampe frontale pour tenter d’y mieux voir. », à ce moment du texte, accroche vraiment bien). Bonne continuation Jean-Luc.