#anthologie #08 | Le trou

Je les entends. Ça vient du trou à l’angle du mur de la chambre. Quand ils ont refait l’isolation ils ont demandé s’ils devaient conserver l’ancien conduit de cheminée. Je rêvais d’un poêle rougeoyant l’hiver, mais la chambre est si petite, ils l’ont déconseillé «  Vous voulez cuire ? » même s’ils ont accepté de remplacer le coin de parquet face au conduit par du carrelage au cas où je reviendrais sur cette idée de poêle. « Vous ne voudriez pas mettre le feu à la maison ! ». Ils n’ont pas muré le trou, ils ont refermé provisoirement l’ouverture. Je l’avais oublié jusqu’à ce que j’entende ces bruits.  J’ai tout de suite pensé au trou, imaginé l’espace vide qui monte le long du mur. Qui l’habite ? Et comment dormir quand j’ai le sentiment que des intrus s’agitent au pied de mon lit ? Chaque nuit je me réveille en sursaut. Je les entends. Je ne bouge pas. J’attends. Ça murmure, ça circule, ça cogne tout près de moi, ça dure des heures. Le matin je me réveille épuisée, je déserte la chambre revenue au silence quand le jour s’est levé. Chaque soir je redoute d’aller me coucher. Une nuit je craque, je veux comprendre. Je tire l’armoire qui bouche l’angle du mur. Elle glisse facilement sur les carreaux de carrelage jusqu’au parquet. La porte est là, dissimulée. C’est une porte aux dimensions ridicules. Je gratte la jointure du placo. Pas de poignée mais un vide entre deux plaques, glisse les ongles, tire. La porte s’ouvre. Tout est noir. Avec précaution je passe la tête dans le trou puis le haut du corps, l’espace s’élargit. Il y a des encoches de part et d’autre du conduit. Je grimpe. « Y’a quelqu’un ? ». Silence. Seul un petit vent descend jusqu’à moi, me caresse la joue. On dirait qu’il chante. Je grimpe toujours. J’ouvre les yeux que je tenais fermés serrés pour ne pas voir le noir. L’obscurité est de velours, elle m’enveloppe. J’entends battre mon cœur. Dans mes oreilles un bruit de vagues me rappelle le temps d’avant où j’écoutais la mer dans les coquillages. Je pourrais dormir ici dans le creux du conduit. 

A propos de Françoise Guillaumond

Ecrivain, directrice artistique de la compagnie La baleine-cargo sur Wikipedia, ou directement sur la baleine cargo.

Un commentaire à propos de “#anthologie #08 | Le trou”

  1. Dans ce texte, on entre ds une autre dimension . Où va ce conduit ? qui sont-ils ? On a hâte !!!!