#anthologie #08 | chez soi

M. ne quittait jamais ses gants, il chaussait des patins de velours, à ses genoux il attachait des genouillères en caoutchouc, à ses coudes des coudières faites de la même matière, et sa tête était couverte d’un épais bonnet de laine. Ses portes, insonorisées, en claquant, émettaient un souffle à peine perceptible. Ses meubles n’étaient en rien carrés ni pointus. Ses murs, doublés de liège, étaient recouverts  de tentures molletonnées. Rien ne pouvait taper, tomber, cogner, ni même grincer ou s’ébrécher dans l’appartement de M. Et comme si cela ne suffisait pas, M. se bouchait les oreilles à la cire dès qu’il rentrait chez lui. Il n’est que son regard qu’il ne pouvait opacifier complètement, aussi se contentait-il de lunettes de soleil tout à fait banales. Mais un jour arriva l’inévitable. Arriva l’insondable. Un jour arriva. Où M. se prit les pieds dans le tapis (bêtement), où il se retint à un pan de mur dont le tissu se déchira longuement, du sol jusqu’au plafond. Sans tarder, mille fissures apparurent, les objets se mirent à trembler, les portes à se dégonder et contraignirent M. à emprunter, qui s’ouvrait déjà, la porte grossièrement taillée que la tenture éventrée avait révélée. Hébété, fâché, dépité, M. retira gants, patins et bonnet, et accepta sa destinée.

A propos de Pedro Tarel

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6 commentaires à propos de “#anthologie #08 | chez soi”

  1. c’est comme une chanson ou un conte chanté… mais « Arriva l’insondable »
    amusant finalement, pauvre monsieur M quand même !! il devait tout craindre dans cette vie où l’on se cogne et se blesse si souvent (je suis une spécialiste de la chute !! )
    merci Pedro
    (il faut que je revienne vers vous mais il y a tant à lire…)

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