L’arrière-grand-mère est morte au printemps ; on m’a donné sa chambre. Jusque là, je dormais dans la chambre des enfants, deux grands lits, un troisième plus petit. Je connaissais les lieux, l’arrière-grand-mère m’invitait parfois à dormir avec elle ; agenouillés contre le lit-bateau, nous disions une prière face à l’affiche représentant le grand barbu exhibant son cœur rayonnant, terrible et rassurant à la fois, son regard intense et doux, ses longs cheveux, sa robe bleu nuit.
A seize ans, j’ai pris ce transport au bout du couloir comme une faveur, comme la reconnaissance que je pouvais désormais vivre un temps de solitude, à petite distance des sœurs et des adultes.
Le grand barbu m’observait toujours. Depuis longtemps, je ne lui rendais plus ni visite ni prière. Au mur, l’affiche, ternie, avait perdu quelque relief, un rose-violet dominait, mais le regard intense et doux n’avait pas changé au-dessus de ce cœur projetant ses feux. Je dors désormais sous ses yeux, une première nuit aux rêves hachés de sursauts, de vision de cœurs pantelants. Dès le matin, je décide d’arracher cette affiche, un bout de papier tout juste punaisé, poussiéreux et naïf.
Les contours d’un cagibi apparaissent alors, dont j’avais oublié l’existence. Dans cette maison où j’en compte six, de formes, de tailles, de fonctions différentes, je ne joue plus à cache-cache depuis longtemps, je ne m’accroupis plus dans la poussière et les toiles d’araignées, au fond de ces volumes perdus dont seul un habitué connaît l’existence. Celui-ci possède une porte véritable, on le dirait plutôt placard. Fermée à clef, je la secoue, ce qui semble déclencher la fuite d’habitants clandestins, frottements, battements d’ailes, loirs, pigeons, rats ?
Je passe une partie de la journée à questionner, à chercher la clef, sans succès, mon père me dit qu’il n’y a là derrière que passage de tuyaux du chauffage central. Le soir, je retrouve ma nouvelle chambre sans déplaisir, ne donnant pas sur la rue, elle se révèle très silencieuse. C’est une vague lueur qui me réveille au cœur de la nuit. Je pense à la lune, me redresse un peu dans mon lit. La porte du cagibi est ouverte, c’est de l’intérieur que se répand une lumière très pâle qui diffuse dans la moitié ouest de la pièce. Le phénomène me paraît normal, ne m’inquiète pas, j’ai dû rêver, je sais que je ne me suis pas levé pour vérifier, mais me rappelle tous les détails ; au matin, la porte est fermée.
Je ne découvre la clef que le lendemain pendant le déjeuner. Ma mère m’envoie chercher un pot de miel « dans le cagibi de la cave ». Il y a là une vieille armoire où sont rangés chaussures et outils de jardinage. Poussé par je ne sais quelle intuition, j’explore un de ses tiroirs et découvre un anneau rassemblant des clefs. L’une d’entre elles ouvre mon cagibi, la porte résiste un peu, cède en grinçant. Sur un côté, ce grand placard abrite deux tuyaux de chauffage, à angle droit, une petite fenêtre en demi-lune dont la vitre est cassée. Le sol est couvert d’une épaisse couche de plumes et déjections, diverses, en gris et noir. Au centre, paraissant creusées dans ce revêtement animal, deux traces de pas bien nettes.
Un texte qui se dévore! Court et pourtant pendant la lecture on échafaude déjà des suppositions. Merci Jean-Marie.
Une réponse possible…
Une vieille paire de bottes avait été grignotée par des souris. Il n’en restait rien, peut être des lambeaux de semelle, invisibles au premier regard, et leur empreinte en creux, bien sûr.
Merci pour votre lecture JMG
ah ah les pas de qui ? de quoi? ça marche!