#anthologie #07 | Pleins phares

Passer son tour. Parce que trop d’ombres, pour l’heure, ici, aujourd’hui, pour parler de lumière. Même tamisée. Même en filtrant, en contournant, en tentant des détours et des nécessaires surdités, en s’échappant. Vers hier, ou très loin. C’est sans compter sur la rapidité de l’ombre. Sa ténacité. En ce moment, partout, des ombres font trop d’ombre à la lumière. Lumière des yeux d’enfants, mutilés, torturés, enlevés, violés, massacrés. Lumière du soleil, voilé, du ciel, strié. Trop d’ombres, qui même démasquées, continuent d’avancer, au pas de charge, ou sinueusement, secrètement. Trop d’ombres sur la vérité, bâillonnée, piétinée. Trop d’ombres sur la liberté, encerclée, à vue gardée. Un rayon de soleil vient de traverser la pièce, je me lève pour me placer dans son axe. Pour me réchauffer. Il disparait. Je déclare forfait. On est mercredi. C’est le jour des enfants. Au parc, la lumière sera peut-être, furtivement, au rendez-vous. Et je m’en nourrirai, promis, Jacques. Pour résister. Pour que la lumière soit.

(Jacques Lusseyran, aveugle, sera arrêté par la Gestapo en juillet 1943 et déporté à Buchenwald, dans le  « «  bloc des invalides », c’était une baraque comme les autres, seules différences : on y avait entassé mille cinq cents hommes au lieu de trois cents ( trois cents c’était la moyenne pour les autres blocs), et on y avait divisé par deux les rations alimentaires ». Il survivra. (Et la lumière fut)

A propos de Eve F.

Rédige des assignations et des conclusions, défend le veuf et l'orpheline, écrit sur le Droit et son envers, la Justice et ses travers, le bien-être et son contraire, les hommes et pas que, le bruit du monde et ses silences, aussi.

12 commentaires à propos de “#anthologie #07 | Pleins phares”

  1. Génial… merci pour cette métaphore qui trouve tout son sens à la fin . On a besoin de ces textes là.