#anthologie #07 | phares et réverbère

La lumière des phares s’insinue la nuit dans les vides du volet. On décèle un rythme plus qu’on ne distingue les éléments brièvement éclairés de la chambre. Lumière mobile, jaune plus ou moins blanche, qui s’annonce de loin dans l’encadrement de la fenêtre et se précipite presque soudainement sur les étagères de la bibliothèque et le long du mur jusqu’à l’armoire. Puis disparaît, absorbée. Toutes voitures différentes, mais trace lumineuse identique. Et ce n’est que lorsque la circulation automobile se tarit, que la lumière du réverbère illumine malgré tout. Au point de nous déranger, même. Jusqu’à une heure avancée de la nuit, on ne la percevait pas. Elle n’avait pas le temps de s’installer. La danse des phares obscurcissait la chambre entre deux passages. La lumière orangée du réverbère est insistante. Elle s’impose à tel point qu’on peut distinguer les contours et reconnaître les objets. Compagne de l’insomnie, elle nous invite à ouvrir le volet et à entamer avec elle une sorte de dialogue. Les pieds nus sur le carrelage de la chambre. Le réverbère planté dans le bitume de la rue.

A propos de Nicolas R.

Je vis au Mozambique. Prof doc de hasard (heureux) depuis quelques années. Facteur longtemps. Écrire. Pétrir. Pécrire ? Pécrire v. tr. (3e groupe) Étym. : De pétrir et écrire, formé sur le modèle de termes évoquant l’action de malaxer une matière pour lui donner forme. L’idée sous-jacente est celle d’une écriture travaillée, façonnée comme une pâte, qui fermente et prend du corps avec le temps. Prem. ut. : Attesté au XIIIe s., dans un fragment de poème attribué à Hugon de Belloc (?-1243) où il est écrit : « Pécrire n’est de valour se ce n’est de labeur, Bien vaut un mot frainé qu’un livre à l’erreur. Qui pécrit en silence et en main ferme, Il s’en suist au texte, que sa main étermine. » 1. Façonner un texte avec un geste physique, presque tactile, comme on pétrit une pâte. Pécrire implique de travailler les mots, de les modeler pour qu’ils prennent forme. – « Comme on retourne la terre, je pécris. Lorsque le sol se réchauffe et que les racines se déploient, les mots fermentent dans le noir et remontent à la surface comme les petites bulles d'air dans un levain » (Giono, Entretiens). 2. Retravailler sans fin un texte, le malaxer et le reformuler jusqu’à ce qu’il prenne une forme définitive, solide et concentrée, comme une pâte qui fermente pour libérer ses arômes et se structurer. – « Il pécrit, malaxant chaque phrase jusqu’à ce qu’elle prenne forme, comme une pâte laissée à fermenter, tissant ses réseaux de sens et de son, se concentrant sous la pression de son propre poids, jusqu’à ce que le texte devienne lui-même un acte complet, prêt à se déployer sous ses propres lois. » (Professeur Augustin Lavergne, Pour Flaubert, Université de Poitiers, 1869). 3.Écrire de manière viscérale, mais aussi contemplative, en laissant les souvenirs et les images du monde se distiller dans le texte, jusqu’à ce qu’ils deviennent presque indiscernables de la matière même de l’écriture. – « Pour pécrire, il faut avoir vécu, respiré le monde avec chaque pore de son corps, avoir laissé chaque souvenir se mêler à la chair du texte, que ce soit la brume d’une mer lointaine ou la chaleur d’un matin d’automne. Les mots naissent, ils s’élèvent, non pas comme des pensées, mais comme des événements vivants, façonnés par tout ce qui a été vécu. » (Rilke, Levain de nuit). 4. Écrire d’une manière viscérale, en modelant les mots comme on pétrit une matière brute. – « Je pécris, je pétris, j’écris, j’écrase, j'éreinte, je l’épaissis, je le mâche, je le crache, je le reprends, je le rend, prêt à trancher la masse » (Christophe Tarkos, Le Pétrin). – « Il pécrit la phrase, la tordille et la râpouille, la triture et l'empatouille, qu'à ses cris il s'exhultaille; il l’enroule et la dépiotte, la secoue comme un vieux linge ; il la grommelle, la martèle, la braille, jusqu’à à la fendure. Puis il la gicle, la glisse, la coupe en morceaux, la mélange et la pétrit encore. Et quand enfin la phrase s'amoncelle et soupire, il la reprend, il la bouboule et la pousse dans la fournaise » (Henri Michaux, Levain fini).

8 commentaires à propos de “#anthologie #07 | phares et réverbère”

  1. Merci d’inviter à dialoguer avec la lumière, même celle qui dérange, éblouit. Merci !

    • Je soupçonne chaque réverbère d’être de vrais moulins à parole… quoique pudiques (ou fiers). Merci d’être passée !

  2. le cadre posé avec finesse on s’attendrait à lire le dialogue qui va se jouer. Merci pour ce théâtre de lumière

  3. « La danse des phares obscurcissait la chambre entre deux passages »
    Particulièrement touchée par cette phrase-image.
    Merci

  4. Il faudrait chercher dans la mémoire, mais oui je connais bien sûr cette lumière des phares la nuit dans la chambre, et le réverbère et l’insomnie! Merci de l’avoir si finement écrite, et fait revenir, cette mémoire (collective?).

  5. Le revoilà le réverbère. Ce qui m’a frappé ce sont ces points posés n’importe où, bizarrement je fais le lien avec les pieds nus sur le carrelage.