#anthologie #07 | Moisson de la nuit


Ce soir, la lumière blanche clignotant au gré du passage des chats pénètre à l’intérieur de la maison. Trop blanche. Trop nette. Il faudra que je règle ça. Une lueur là-bas à travers le rideau de bambou et les branches du pommier ; minuscules auréoles bleutées volées à la nuit. Il est tard, je me tiens maintenant debout sur la terrasse face à l’immensité du ciel sombre, les étoiles ne se sont pas encore toutes levées, je ne sais pas pourquoi je me dis que si je pouvais marcher tout droit depuis le point de la terre où je me trouve, là, debout sur ma terrasse, tout droit, c’est à dire, sans faire aucun détour, j’arriverais un jour à la pointe de l’Espagne, face à l’ Afrique. C’est ça, le plein Sud. Mais au loin, vers le sud donc, au delà de l’ Arz, les Grées barrent l’horizon comme un trait épais tracé sur la carte. Je m’amuse à compter les loupiotes jaunes apparaissant de temps à autre, dans la même direction, formant un ruban lumineux discontinu dans la nuit ; j’arrive encore à distinguer la ligne de crête formée par l’alignement des chênes qui bordent la rivière, les troncs, les branches et les feuillages deviennent une seule masse vaporeuse, mouvante et déjà presque noire ; en bas, vers l’Ouest, dans le champ, une lumière inhabituelle apparait, deux disques blancs se déplacent nerveusement dans la nuit produisant en un mouvement lent et saccadé un double faisceau de lumières poussiéreuses en forme de cône, éclairant les épis de blés encore debout ; au petit matin, depuis la nuit des temps, le paysage aura changé, de nouveau.

A propos de Nicole Busquant

Un certain goût pour les traces.