Avoir essayé les cafés et les trains, avoir cherché les tables isolées, les sièges côté vitre, avoir fermé les yeux, dissimulé cahiers et carnets, diminué la police, rapetissé la page sur l’ordinateur, tout fait pour soustraire les mots aux regards extérieurs, impossible de l’oublier l’autre, impossible d’oublier sa propre image, son propre reflet, ce cliché de l’écrivain au travail, impossible de ne pas singer, impossible de s’oublier, impossible de laisser aller, filer l’écriture. Il faut disparaître. Nulle respiration à côté, même endormie, nulle silhouette aperçue ou susceptible de l’être. Nulle interruption extérieure. S’isoler. Se retirer? La chambre, tout au fond. Couloir et porte pour s’isoler. Tirer le rideau, tirer un volet si besoin. Nulle interférence de l’extérieur. Ni les arbres, ni les animaux. Une lampe allumée si besoin. Un lit pour s’allonger. Des lunettes retirées pour faire reculer le monde, se dissoudre les titres des livres, les visages des photos, les vêtements à ranger, le cadran du réveil. S’en tenir à quoi? Une voix? Des mains, deux doigts sur un clavier. Ne pas lire ce qui s’écrit. Ne surtout pas se relire. Eviter de lever les yeux sur l’écran. Apercevoir sa lumière, comme à la dérobée, comme à la lisière du regard. L’orange du fond d’écran, des taches bleues. Ne pas les regarder, ne rien regarder. Juste des touches noires. Le bruit lointain d’une machine, du linge qui essore. Ne pas lever les yeux. Un pan de rectangle blanc, lumineux, doucement lumineux à sa droite, le rideau opaque, nulle ombre sinon celle de la poignée, rien pour éblouir. Fermer les yeux si besoin. Fermer les yeux quand l’hésitation vient, quand le réel pourrait faire effraction, quand le réel pourrait désagréger les mots, les phrases, le fil qui va on ne sait où. Des livres, un carnet, présents mais qu’il s’agit de ne pas regarder. Rester dans ce flou, ce recul du monde, ce recul des mots tracés, figés, définitifs. Préserver cette quoi, cette bulle, cette disponibilité, ce vide, ce n’être rien, cette absence, cet oubli du monde, cet oubli impossible à l’extérieur, cet oubli de soi, cet oubli de l’acte d’écrire, de la représentation, des représentations qui vont avec et l’en empêchent, l’asphyxient, l’égorgent, incompatibles avec ce filet, filet de mots qui va, fragile, craintif, mais dicible à condition de silence, pas trop pourtant, de peu d’interférence, et d’on ne sait quoi.
Merci pour avoir rendu si bien cette espace si fragile et assiègeable de l’écriture.
Merci Anna.
C’est bien comme ça, oui fragile équilibre, une belle exploration. Merci.
Merci Isabelle pour ton passage et ton retour.