#anthologie #07 / Le carnet vierge

#07
Le carnet vierge

En cette fin d’après-midi, j’attends déjà le soir et sa sombre lueur. J’attends sur mon canapé un temps qui me paraît infini en secondes qui se chevauchent, tout comme le font mes pensées dans la semi-obscurité. Les objets environnants résistent à mon désir de leur tracer un contour et ils me semblent nappés de l’épaisseur même de ce ciel gris qui entre par la fenêtre. Les lumières éteintes, je les distingue mal les uns des autres et ils deviennent des masses informes qui semblent avoir une vie autonome. Le gris vient se déposer jusque sur la table basse où trainent des stylos, papiers et une tasse à café. J’attends, stoïque. Et les longues minutes s’enchaînent, maillon après maillon pour permettre au temps de s’étirer dans ce coin salon de l’atelier qui fait office de bureau. Assise, je contemple ce morceau de ciel rentrer chez moi et revêtir de poudre grisâtre chaque chose avec lenteur, comme le peintre choisit ses teintes et les applique au pinceau graduellement sur la toile, touche après touche, heure après heure. Je ne discerne plus bien le vrai du faux et je devine plus que je ne vois. J’appuie sur l’interrupteur de la petite lampe qui se trouve à droite du canapé et une lumière orangée enrobe l’espace qui devient alors comme soyeux, la grisaille effacée. Le ciel est noir et s’infiltre de toute part dans la maison, effleurant les murs et le plafond, délimités par ce halo de lumière tamisée qui se fait gardienne du salon où les objets reprennent consistance dans son périmètre. Les œuvres accrochées au mur se révèlent bizarrement : ici la photographie d’un dahlia orange qui s’ouvre et se penche vers moi, sur un fond vert et violet, comme pour me parler de ce temps qui passe, du bout de ses pétales crochus. Je me laisse attraper par cette fleur qui semble surgir du mur enfoncé dans le soir. Là, une petite esquisse d’un rose paysage qui tendre en plein jour, revêt un aspect effrayant dans l’ombre. A ses côtés, l’ancien miroir orné de dorures reflète la bibliothèque, plongée, elle, dans l’obscurité et cela est étrange de voir cette grande masse sombre remplies de livres devenir monument, comme une stèle compacte où serait inscrit : ci-gît… Le soir arrive maintenant par le lampadaire de la cour qui s’allume et vient irriguer de jaune l’atelier près de la porte fenêtre, dans l’obscurité. J’allume alors la grande lampe de l’atelier : un néon vertical fin et long, scotché à un pied de fer forgé qui rivalise avec la lumière du jour. Puis je me rassois, la maison irisée de lumière dans la nuit. J’ouvre un carnet vierge et j’y écris ces lignes…

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