on attendait la nuit, le grand noir du ciel bleu-noir, on se disait pourvu qu’il ne pleuve pas, car tout serait gâché – et il pleuvait parfois- ; il y aurait la fanfare, les bonbons sur le port, et le dessert qu’on mangerait en rentrant en s’éclairant à la bougie pour faire durer la fête. Comme pour la pêche – la canne, le seau, le plomb, et le fil de nylon, il fallait des accessoires –; pour l’occasion on rachetait un briquet à gaz – longtemps elle avait fumé des gitanes, dans la cour, la fumée dessinait de petits nuages blancs que le vent faisait fondre en repoussant les grands. Pour nos lampions on allait sur la place, on les achetait repliés dans un sachet de cellophane, et le bâton avec l’accroche recourbée, et la bougie dans son cerceau de fer; pour choisir il y avait les modèles d’exposition suspendus en guirlandes : les tube et les ronds, même des ovale ; des bleu-blanc-rouge, ou à pois, ou blanc ou rouge ou orange uni… rentrés à la maison on tirait sur l’accordéon et le lampion déployait sa couleur et sa forme; J’aimais ceux à pois orange, lui préférait le bleu-blanc-rouge. Cette nuit là, une nuit criblée d’étoiles je m’en souviens, la lanière de mes sandales avait cassé et j’avais dû porter mes méduses : avec la robe ça faisait moche – je n’aimais pas les robes – j’aimais pouvoir grimper aux arbres, rouler à bicyclette, j’aimais peindre le ciment de la cour et regarder la couleur fuir dans l’égout en dessinant des arabesques ; elle était belle pourtant la robe étoilée, froufroutante , elle brillait comme celle d’une poupée de foire mais le jupon trop long empêchait les genoux. Sur le seuil, elle allume la bougie, l’air fait vaciller la flamme, la flamme tient bon ; elle la glisse dans mon lampion que j’accroche à mon bâton, je le dresse devant moi, la lueur tremble en remontant, elle jette une ombre sur le mur, l’ombre grandit et se déforme, je tiens mon lampion à bout de bras, en suivant la cadence des cuivres et du tambour qu’on entend loin devant je danse ; le lampion monte, et descend, je tourne, et tourne encore, il prend feu : une grande flamme monte comme une fusée, elle brûle, en brulant elle accouche d’étincelles puis c’est uen fumée noire ; à mes pieds gît un squelette de fer.
Féérique et une fin inquiétante ! J’aime cette phrase : « Cette nuit là, une nuit criblée d’étoiles je m’en souviens, la lanière de mes sandales avait cassé et j’avais dû porter mes méduses »… Et puis ces petits bouts de vie qui en creux brosse le portrait de la narratrice…
C’est charmant, doux cette narration et vague réminiscence des lampions (de colonies de vacance)