J’ai écrit sur elle. Je n’ai fait que ça, écrire. Sur elle. Je ne me préparais pas, j’écrivais. Jamais je n’ai cherché à écrire sur ma mère, j’écrivais son mouvement, ses formes. Ses récits, discours continus. Écrire ma mère se passait de volonté, d’intention. Se passait de moi, ma mère poursuivant sa vie, se jetant entre mes doigts, dans ma langue. Pas nécessaire de prévoir lampe et silence. D’attendre. J’écrivais dans l’obstination du hasard. Pas nécessaire d’éclairer une partie de son visage, tel angle de caractère. Je l’écrivais décider (là, sa force). Je l’écrivais vivre, matière et contrastes. Dialogue de toujours, sans qu’elle en soit avisée, elle qui me reprochait ne pas « lui faire de mot » aux anniversaires, aux fêtes. Me relisant ses lettres, cartes colorées, feuilles à carreaux ou bouts de papier. Pas nécessaire, je connaissais ces textes par cœur. Mais je ne l’interrompais pas, j’écoutais frères, famille et amis lui témoigner amour, relancer l’admiration. Maladresse, erreurs de français souvent, grandiloquence toujours. Et émotion malgré tout.
Je suis aujourd’hui, geste arrêté. Devant elle comme en veillée ; qui d’elle dire, l’avant maladie, l’éclat malgré les épreuves. La vitalité têtue. Écrire sa lutte, les luttes répétitives. L’existence comme joyeux combat. La maladie, laquelle. La mort. Qui est ma mère parmi toutes ces elles. Pas de projecteur, pas de scène. On a appris à s’éblouir de peu, vivre de l’à peine. On faisait nos devoirs éclairés aux bougies, on lisait incertains, on dînait… faibles lueurs. Guerre ou immobilisme institutionnel, on a été élevés dans ce manque. Et le défi de saisir autrement, plein corps. Aujourd’hui encore, l’écrire avec cette audace. Regarder les mains de ma mère, ses joues, son sérieux à l’œuvre. Voir sans trop de lumière, nuances et détails. Voir en l’écoutant et par la peau, la caresse. Le dévoilement de ses odeurs. L’écrire dans ma bouche. Poursuivre ses voix, ne pas arrêter lignes et flou. Écrire ma mère sans braquer les mots sur elle, étirer ma vision comme yeux mi-clos, flottant entre dehors dedans, lointain et collé.
Aujourd’hui ma mère, comme présence d’écriture (projet et désir). Comment l’éclairer sans m’aveugler, ouvrir la pénombre de ses gestes, leur poids d’absolu. Aujourd’hui pour la première fois, je m’apprête à. Je m’assois à table, allume et attends.
touchée. Je partage si tu savais à quel point…
merci Catherine, ça me touche aussi d’apprendre ce partage.
La mère lampe, la mère phare, la mère langage… On te suit, dans cette émotion que tu bâtis avec les ombres.
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« La mère lampe, la mère phare, la mère langage », si beau ! merci Catherine pour tout ce qui se bâti en commun
Sensible. Très.
merci Delphine
« Comment l’éclairer sans m’aveugler, ouvrir la pénombre de ses gestes, leur poids d’absolu »
Déjà un tellement bel hommage.
Merci Gracia pour ce très beau texte et cette très belle phrase qui me touche particulièrement.
Très touchée Marie, merci beaucoup
Merci Gracia. Pour ces questions (Qui est ma mère parmi toutes ces elles), cette délicatesse (Écrire ma mère sans braquer les mots sur elle). Beau et fort ton texte.
merci à toi Betty, beaucoup !
Toujours aussi touchée par la délicatesse de ton écriture et toutes ces variations de lumière autour de cette mère poto mitan approchée dans l’écriture par toutes les sensations…Merci Gracia !
oh merci pour « mère potomitan approchée » et pour tes mots, merci si touchée
Sublime texte.
Ce rapport à ta mère… j’y vois tendresse et force.
Merci.
merci chère Annick