Sur le canapé, l’esprit à la fois vide et occupé, le corps fatigué, j’attends la nuit, c’est l’été et je n’allume pas par crainte des moustiques. Alors, je m’installe et je reste là, j’ai coupé le bruit du monde mais pas celui de la rue et seuls me parviennent l’aboiement d’un chien, le vrombissement d’une moto et les pas de quelques passants. J’attends. Le ciel dégagé dans la journée s’obscurcit de nuages gris qui j’espère claqueront dans un orage pétaradant, dans l’immeuble d’en face les appartements du 5e et 6e étages s’éclairent. J’essaie de continuer La Route bleue de Kenneth White, mais pas assez de lumière pour la vingtaine de pages restantes, pour que le géopoète atteigne le Labrador.
J’étais ivre de vent, Ivre de la grande rumeur blanche du Saint-Laurent, Ivre d’idées.
Idées-poissons, idées-oiseaux.
Pensée qui nage et qui vole.
Philosophie océanique.
Pourquoi écrire ? Pour ne pas devenir complètement fou de cette ivresse-là.
De cette ivresse blanche qui est la source de toute véritable écriture.
Pourquoi écrire ? Les deux lampadaires s’allument, peignent de jaune les immeubles, une voiture essaie de se garer, lumière blanche et clignotant orangé percent l’or de la rue et montent jusqu’à moi dans le silence de l’appartement toutes fenêtres ouvertes, souffle du vent chargé de peu de fraîcheur. Dans la pénombre, je ne bouge pas. J’attends. Une lumière blanche tombe dans la pièce lentement, elle s’impose éblouissante de beauté, je patiente encore un peu et me lève d’un bond, cours à la fenêtre, lève la tête à me tordre le cou et là, à l’aplomb du toit, en écho à Kenneth White je bois la lune jusqu’à m’enivrer.
continuer avec vous La Route bleue… (texte qui me reconduit loin en arrière)
et chercher la fraîcheur du vent