4 octobre 2023
Elle n’a pas pu écrire à l’aube, selon son rituel journalier. Des préoccupations domestiques ont, dès son lever, perturbé l’écoulement de son temps. Elle en reste affectée. Il est 19 heures, elle doit écrire, elle le doit, elle le doit à son journal, — comment y laisser un blanc à la date du 4 octobre —, elle le doit à elle-même, elle le doit. Elle s’assied à sa table de travail dans l’obscurité qui vient. Mais comment trouver le lâcher prise nécessaire à l’apparition de la moindre idée devant une injonction pareille ?
Elle ferme les yeux, tente un exercice de respiration pour se rassembler, se relier, rejoindre sa source. Petit à petit, le calme revient et son souffle se fait silencieux. Il lui faut maintenant réveiller sa sensation de la vie. L’intérieur de la pièce s’obscurcit de minute en minute, mais à travers les fenêtres, le jardin et, au-delà du jardin, là-haut, au sommet du coteau, le ciel se met à flamboyer, embrasant les pierres du vieux moulin. C’est un triomphe, une apothéose, le bouquet d’un feu d’artifice. Les nuages baignés de lumière dessinent des tableaux vivants et chimériques. Les Fireworks de Haendel qui seraient silencieux ! Car toute à la contemplation de la beauté, elle n’entend aucun des bruits de la maison. Le ciel se pare de couleurs chaudes et vibrantes. L’or, l’orange, le rouge se mêlent aux roses et aux violines et descendent la côte pour éclairer le jardin, dans lequel les ombres s’allongent. Les oiseaux filent dans l’incendie pour rejoindre leurs abris nocturnes. Alors, elle voit que la lumière dorée ruisselle dans la maison et magnifie le bronze sur l’homme debout — un écossais brandissant à bout de bras un trophée de chasse. Plus profond dans la pièce, c’est le cadre doré du tableau au-dessus la cheminée qui s’orne de taches phosphorescentes. Alors une lumière ineffable pénètre jusques aux tréfonds de son être. Instant de jubilation, d’extase, d’arrachement au temps et à la mort pour célébrer la vie. Le spectacle éphémère prend fin. Elle ne distingue plus le moulin. Une douce tranquillité s’installe.
Il est temps d’allumer la lampe.