#anthologie #07 | Et ce qui surgirait du grain de cette image

Abstraction faite de tous les bruits envolés de la place – un salut, le brouhaha des commerces qui installent leurs présentoirs, leurs portants, leurs tables, leurs écriteaux, la cloche qui sonne l’heure pile car c’est à la même heure souvent que je m’attelle à l’écriture, et même des piafs traversant l’espace de la fenêtre… Abstraction faite. L’esprit encore embrumé par la nuit blanche et malgré la double tasse de café noir. C’était hier avant le coucher la surprise de l’inspiration, l’idée remâchée pour la mûrir durant le sommeil, les injonctions imprimées dans le cerveau. Et la nuit blanche. Ce matin, c’est le vert qui l’emporte, le vert radiant des plantes qui fusent des feuilles effilées, arrondies, dressées vers le plafond ou retombantes, feuillage bousculant la blancheur des murs, réveillant le parquet blond. Un minuscule jardin intérieur assailli de lumière. Dans le miroir de la fenêtre ouverte le vol des oiseaux en piqué, leur ballet en diagonale d’un angle du toit aux volets entrouverts un peu plus bas, la réplique du mur d’en face avec ses trois étages de génoise signant le rang social du propriétaire, son câble électrique noir vissé au mur à intervalles réguliers, sa couleur bleu pâle encore atténuée par le reflet. Quelque chose surgirait du grain de cette image. Le regard de Kafka en couverture des Cahiers Rouges donne vie à ses lignes que je lis et relis. Le flou de l’image noir et blanc en souligne l’intensité, la fixité. Il y aurait la prière secrète d’une inspiration venue de ce regard. J’ai reculé de quelques pas m’éloignant de la banquette où j’aime écrire. J’ai regardé la fenêtre et les plantes sur son seuil, j’ai vu l’agitation du charme et celle du ficus benjamina – les deux bonsaï enveloppés par l’air frais du Pontias – le cactus opuntia, le cactus d’orchidée aux fleurs si fragiles, les guzmania sauvés d’une mort certaine… tous pris dans le bleu du ciel, tous ajoutant leur vie à celle du dehors. Au sol, j’ai vu le clivia s’épanouir sous mon regard et le multipliant se pencher vers l’aloe, j’ai deviné leur murmure, il suffit de fermer la fenêtre. J’ai fermé la fenêtre. Pour seul compagnonnage le silence presque absolu du matin posé sur les livres et les tableaux, les coussins, les fauteuils, la table martelée où le seul bruit s’impose des objets qui l’encombrent. Un agenda ouvert à la date du jour, Le paysan de Paris, un cahier de recettes, deux ou trois stylos, Un petit rien-du-tout tout neuf plié dans une feuille de persil, un éventail de tissu bleu, un programme de cinéma. Et la tasse de café, blanche. Oubliée l’idée de la veille, l’inspiration, l’injonction. Ce liseré infime posé entre les mots d’un autre et ce qu’ils appellent en soi. Cet espace ténu rempli de promesses. Vide ce matin. On le questionne. On le déploie. On en visite les recoins. Et ce n’est que sensations diffuses, ce tic qu’elles engendrent sur la joue gauche. De la pensée on voudrait extraire un mot, une bribe de mot, presque rien mais tout s’estompe aussitôt pour se fondre dans le blanc. Et l’on se dit que demain, tout à l’heure peut-être.

A propos de Marlen Sauvage

Journaliste longtemps. Puis dans l'édition. Puis animatrice d'ateliers après une formation Elisabeth Bing et DUAAE à Montpellier. J'anime encore quelques stages d'écriture, ai contribué aléatoirement au site des Cosaques des frontières, publié quelques livres – fictions et biofictions – participé à plusieurs ouvrages collectifs. Mon blog les ateliers du déluge.

Laisser un commentaire