Une fissure se fait sur le mur et découpe une porte parfaitement formée haute et étroite qui m’amène directement dans le hall de l’entrée de l’immeuble vers le passage de la Bonne Graine. Du sixième au rez-de chaussée je ne vais pas bouder cette facilité et je sors dans la rue. Il fait nuit mais je retrouve rapidement ma mobylette qui me permet de me déplacer souplement, efficacement, pour accomplir tout ce que j’ai à faire. Prendre un peu d’autoroute, aboutir au rond-point et ne pas me tromper pour prendre le chemin de cette banlieue tant de fois perdue retrouvée dans ces voies qui se croisent, refaire la route autant de fois qu’il faut, pour finir par tomber dessus, je connais, je connais, je connais mais ne reconnais pas. Comme à chaque expédition la question qui travaille, là en-dessous, ai-je assez d’essence, depuis quand n’en ai-je pas repris, aucune idée de la jauge, et puis quelle station ? Sinon de maître, je deviendrai proie, encombrée de cette machine qui m’enchaîne. / Je cherche le sommeil et me retourne violemment d’un côté l’autre, et au lieu de me cogner, rencontre une béance qui m’étonne. Je tends le bras plus profond et touche une poignée. Que je tourne. Dans le hall mon vélo m’attend mais je n’ai toujours pas résolu la question de l’antivol qu’on ne peut plus trouver- acheter et qui manque désespérément, qui rend le vélo presqu’inutile. Il fait plein jour, je dois rejoindre au jardin des Plantes mes amies et leurs enfants, et je suis obligée de ne pas quitter ce deux roues que je ne me vois pas laisser seul. J’essaie à différents hauteurs de rues, de le mêler à d’autres pour qu’on ne voit pas que lui est libre à voler. Alors je marche à son côté, attachée. / J’ai lu un livre un jour où la maison était plus grande à l’intérieur qu’à l’extérieur et depuis j’ai peur et me réjouit que cela m’arrive. Je vis dans un petit appartement de vingt-huit mètres carré, pièce à vivre avec cuisine, chambre et salle d’eau dans la continuité, et qui donne sur une cour. Je guette la naissance d’un espace supplémentaire, un appendice comme ces échauguettes de château, lieux d’aisance, (j’ai déjà ce nécessaire), et ça fait pas rêver, excroissance plutôt balourde, non. Déçue je suis, Même poivrière. / J’habitais à l’époque à côté de la Mouff, un deux pièces tout en haut de l’immeuble (Chanson de la plus haute tour), deux pièces séparées par deux rectangles étroits, l’un pour la cuisine, l’autre la salle de bains. J’hébergeais une amie qui avait la chambre Ouest, et moi Soleil levant. Il se fit qu’un matin j’eus l’étonnement de constater que l’appartement s’était augmenté d’un salon, un jardin suspendu comme ceux de Babylone, dit-on, et qui s’ouvrait flottant au-dessus de la rue. / Nous habitions dans un Levallois modeste, noir, aux façades pas encore ravalées, dans les années cinquante grises. A gauche de la ronde entrée, la cuisine dont la fenêtre donnait dans une cour. A l’opposé sur la droite, les portes des deux chambres, parents, enfants, côté rue. Droit devant, le cagibi, on prenait l’électricité quand on en allumait la lumière. Nous étions quatre et nous lavions dans la cuisine. Nous prenions aussi nos repas dans la cuisine, avec la caisse à charbon sous la table qui bloquait un peu les genoux. Le dimanche, les lits-armoires des enfants étaient repliés, on pouvait installer la table de la salle à manger. Quand les forces de la mère vinrent à faiblir, avant qu’elle émigre à l’hôpital, il fut question de prendre une de ces bonnes, peu cher payées alors, dit le père. Pour la loger, une pièce se découvrit miraculeusement côté gauche après la cuisine, fenêtre sur cour, jamais utilisée : la Chambre Froide. Appelée ainsi car dépourvue de radiateur, plus grande que les deux autres pièces, et prolongée par une petite salle d’eau, elle servit aussi de salle de jeu. Cette extension était un débarras de meubles inutilisés : commode, lit avec cosy, malle contenant plein d’objets venus d’autres maisons, lesquelles quand ? L’appartement avait montré maintenant tout ce qu’il avait dans le ventre et pourquoi cette pièce frigidaire en son coeur, déjà signe ?