#anthologie #06  | une couronne de solitude

« On vit seul, on meurt seul », disait mon père, lui qui avait une famille, une épouse, quelques amis,  des connaissances, des collègues. Certes, c’était un type réservé et même taciturne. En plus, il était un peu sourd mais seul non. En tout cas, pour une raison que j’ignore, j’ai pris très tôt ce verdict au pied de la lettre et à part quelques colocations estudiantines, j’ai vécu toute ma vie seule.  Seule comme la dernière rangée du dernier bus 123 de Boulogne à Issy les Moulineaux. Seule comme la Mort à Venise dans une salle de ciné paumée . Seule devant l’Hudson fouetté par le vent froid de l’hiver. Seule dans le centre commercial désert de Cergy. Seule à Noël, à la Saint Sylvestre et au Nouvel an chinois, dans le fracas des pétards, des feux d’artifices et des bouchons de champagne.  Seule dans les boyaux de la station People Square remontant le flot d’une foule compacte. Seule dans la garrigue brûlante avec les lézards et les pierres éclatées. Seule avec les morts du cimetière de Caudade. Je connais quelques solitaires comme moi, nous nous reconnaissons de loin car nous portons au-dessus de la tête une couronne de solitude qui tient le monde à distance. Avec le temps, j’ai noté que notre solitude gagne en majesté. On s’interroge. Comment fait-on avec la vacuité et le silence ? Avec l’ennui et la mélancolie ? Ce n’est pas à moi de vous le dire : démerdez vous tout seul.

A propos de Geneviève Flaven

Je suis née à Paris en 1969. En 2001 à Nice, j’ai fondé une agence de conseil en design puis suis partie à Shanghai pour développer mes activités. Le départ en Chine m’a mené vers l’écriture et la publication. Depuis mon retour en France en 2019, je me consacre à la création et à l’animation de projets collaboratifs de théâtre documentaire. Théâtre : The 99 project (http://www.the99project.net/ ) Blog : Shanghai confidential (https://shanghaiconfidential.wordpress.com/)

3 commentaires à propos de “#anthologie #06  | une couronne de solitude”

  1. J’aime l’image « Seule comme la dernière rangée du dernier bus » je souris à cette idée et puis la suite je la trouve plutôt glaçante. Même souvenir de « Mort à Venise dans une salle de ciné paumée » et siège pourri. Heureusement que « notre solitude gagne en majesté » ça réchauffe et ça réconforte. Merci Geneviève de l’avoir noté.

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