#anthologie #06 | temps des cerises

Seule dans le dedans c’est une cabane bûcheronne ou une cahute de pierre au plus haut du pré. Ni porte ni fenêtre à ces abris loin perdus, elle s’y réfugie, en espérant la paix, le repos. Au gros de l’hiver, quand le soleil lui manque tant, malade de ne plus respirer, malade de l’air froid dans les bronches, elle annonce Pas de visite avant huit jours Besoin de repos, de retrait, de silence et de musique Ne venez pas Ne sonnez pas Restez loin Pour un temps je ne répondrai pas à vos coups de sonnette Je ne suis pas seule Je mange et je dors

Que dire de ce qui lui manque, le manque ontologique, le manque qui n’a pas de nom ni de mots pour le dire. On peut parler d’un froid, d’un frisson permanent augmenté par l’hiver, du manque de lumière. Parfois une chose d’enfant la passionne. Les cobayes feront des petits. Mettons le mâle avec les deux femelles. Les petits cobayes naissent parfaitement formés, leur fourrure a déjà poussé, leurs yeux sont ouverts, ils sont en miniatures des clones de leurs parents. Ils ont des rosettes, ces zones de poils implantées en tourbillon. Beige, noir ou blanc, ils roucoulent comme roucoulent les mères. A peine un peu de lait maternel et déjà les petits sont au foin.

Il y a eu cette fois où on inaugure la maison de plain pied, cette seule fois où les cercles se mêlent, celui des amies actuelles, le petit cercle qui sait toujours où elle est, où elle va, et comment elle va, celui des amies anciennes qu’elle fréquente lors d’occasions spéciales qui les rapprochent encore et toujours, et enfin les amies esseulées, celles qui furent ses amies qu’elle a écartées, éloignées, effacées de son horizon. Elles sont là et elles semblent absentes, ce qui les sépare d’elle ne trouve place dans aucune fiction. Ce qui les sépare relève de décisions qu’elle a prises selon des critères difficiles à défendre : des impressions, le sentiment que quelque chose entre elles a fini de sonner juste, un écart. Préférer la rupture, la solitude, à l’ennui des routines, à la répétition des mêmes questions. Retrouver dans le fait d’être seule un plaisir oublié. Le soir de la crémaillère elles parlent longtemps de ce qui les a uni, c’est étonnant qu’il n’en reste rien que les murmures d’un soir et des regards, leur amitié fondue au fond d’un verre qu’elle lampe, gourmande, un mélange d’alcool de fruit et de quelques cerises confites. 

A propos de Catherine Serre

CATHERINE SERRE – écrit depuis longtemps et n'importe où, des mots au son et à la vidéo, une langue rythmée et imprégnée du sonore, tentative de vivre dans ce monde désarticulé, elle publie régulièrement en revue papier et web, les lit et les remercie d'exister, réalise des poèmactions aussi souvent que nécessaire, des expoèmes alliant art visuel et mots, pour Fiestival Maelström, lance Entremet, chronique vidéo pour Faim ! festival de poésie en ligne. BLog : (en recreation - de retour en janvier ) Youtube : https://www.youtube.com/channel/UCZe5OM9jhVEKLYJd4cQqbxQ

4 commentaires à propos de “#anthologie #06 | temps des cerises”

    • Merci Brigitte
      L’alimentation, la bouche, d’une certaine façon la gourmandise auront grande part dans ce portrait d' »elle ».

  1. C’est beau, ça coule. Se laisser emporter par le flot et revenir pour relire une phrase. Pas si seule. Merci Catherine.

    • Merci à toi Jean-Luc d’aimer ce drôle de flot, et les écarts à la solitude.