Tu marches depuis des heures à travers champs. Essouffler la bête, apprendre à rendre l’âme, dégorger le pus – ce qui suinte en dur de la tristesse. Tu cavales à l’intérieur, plus vite que la marche, pourtant t’avances en mécanique dans la broussaille. Le souffle bâtard se fait liquide, humecte les mâchoires, sort et solide, jet d’arums sur le visage, tes lèvres deviennent un trou d’où sort l’énorme feuille du poumon. Le souffle bâtard, son saccadé de dune, t’en as mal aux oreilles. Les tympans craquent dans la bataille. Tempo des coups. Les avant-bras couverts de rainures, ces petits cris d’effraie, les griffures sales des souvenirs, il faut marcher plus vite, rattraper la cavale qui pousse les artères, souffle encore et ton cheval intérieur, finira par cabrer, baver de fatigue, la mousse jetée sur le visage, la mousse au mords, prends-toi une bonne gelée dans la rivière, tout autour on la sent, la franche puanteur des ronces qui vomissent sous leur pourri, la mousse des moisissures rentre dans les arbres, le nez, les doigts, les ongles ouverts, la peau altérée, ce goût du vert passé, ça rentre dans les bronches. Plus c’est fort plus ça tape, ce goût de l’odeur, le muscle atrophié du cœur, faut crever faut crever tout crever, cette tristesse de chien, ce rien par terre où t’as flairé la merde, faut lui boucler la gueule. Et le ramassis fameux « t’aurais pas dû t’aurais pas dû », « l’aurait fallu fermer ta g. », t’es trop con trop, t’es trop, de trop, de trop. Va, fuis, dégage, ne rentre pas dedans, fais-toi le plus seul possible, le plus griffé de ronces ; le plus tordu tout nu sous les jarretières de lune. Dehors plus personne n’ouvre les yeux. Tu peux t’enfuir cheval. Nu, fini, démis de tes fonctions. Y a plus que toi criant à travers champs, on doit t’entendre des lieues à la ronde, tandis qu’elle geigne la bête immonde, braquée sur toi, forme et difforme, la lune en stratosphère déplie ses lents poumons, son jaune et lourd bidon, toi si pourri de l’intérieur, elle te suit à la trace, l’agitata sur ton visage, comme un poulpe de lumière… tu vois c’est ballot, cette croyance bête que t’es fini.
6 commentaires à propos de “#anthologie #06 | seul et tes fesses de lune”
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Je viens de lire Aliène de Phoebe Hadjimarkos Clarke (Livre Inter 2024) et je retrouve dans ton texte, Françoise, un peu de sa langue de son rythme et de son univers comme si ce livre ne m’avait pas complètement lâchée. Merci pour cette expérience
Un grand merci Cécile pour cette belle référence, je ne connais pas du tout cette autrice… Et cela donne envie, une histoire d’Alien (d’étrangeté donc), c’est toujours prometteur… Douce journée à vous
(Vais vous lire avec joie ce soir)
La langue ! quelle langue. Ta langue corps ( « Les avant-bras couverts de rainures, ces petits cris d’effraie, les griffures sales des souvenirs, il faut marcher plus vite, rattraper la cavale qui pousse les artères », ). Merci Françoise
Merci si fort ma chère Nathalie… je suis secouée
Quel texte, je n’ai pas pu m’arrêter ! La cavale de la langue à couper le souffle ! Merci Françoise très touchant et inspirant.
Un grand merci Camille !! c’est vraiment chouette de partager à nouveau toutes ces aventures intérieures… ça nous fait oublier les turpitudes et les tristesses du monde… alors vais de ce pas lire tes belles balades 🙂