#anthologie #06 / Le ciel tombé

#06 / Le ciel tombé

De derrière la fenêtre, je vois les tilleuls qui secouent leurs feuilles en chantant les caresses de la pluie battante. Des tilleuls, arrive une mélodie lancinante et incertaine qui s’en va vers les hauteurs, vers ce ciel qui tombe sans fracas à cette heure. Le ciel est plein de fatigue d’avoir porté le jour et il doit se délester à présent comme un avion atterrit sur la piste puis se vide de ses passagers. Ce ciel sait la douleur de la fin du jour. Il enveloppe les tilleuls de ses bras larges et gris qui s’obscurcissent jusqu’au noir de la nuit. Eux, remuent ; les merles s’ébrouent dedans le feuillage, sentant la lumière baisser et ayant tout à coup peur de cette pénombre qui arrive comme seules arrivent les mauvaises nouvelles, subitement.



Seule, derrière la fenêtre, je regarde ces arbres qui s’érigent en de vertes statues mouvantes et qui livrent combat à la nuit. Cette nuit qui remplit le ciel jusque dans ses éclaircies et qui balaie les roses et les gris pour y apposer son noir velours, et déposer, comme un motif dans le tapis, des étoiles en constellations de lumière. Je suis seule derrière la fenêtre et je vois tout cela en quelques secondes : le ciel qui tombe, les étoiles qui filent un dessin comme on brode un souvenir, les merles qui, la tête dans leurs plumes se nichent sur des branches touffues pour y dormir jusqu’à l’aube, dans de verts sommeils. Et je sens l’obscurité me gagner comme seule la fièvre des années d’enfance sait le faire.



Seule alors, je délire les étoiles en points de lumière comme des feux d’artifices ; je délire les merles en becs orange sur l’édredon noir de la nuit ; je délire le tout-dehors en voie lactée sonore, les étoiles mourant à chaque instant avec un bruit de flamme éteinte par un souffle. Seule, je délire mon être au monde, en cette nuit noire de Mars aux reflets iridescents.



Seule je suis, derrière cette fenêtre illuminée par le lampadaire de la cour, irrémédiablement.



Plus que seule je suis, avec mes yeux pour regarder, ma peau pour sentir, mes oreilles pour entendre ; plus que seule, avec mon âme tout entière qui écoute la musique de ce ciel tombé dans ma cour, aux yeux de tous.


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