Seule dans la maison vide, seule avec la maison, le poids du plancher, bois et béton, béton et bois entremêlés, colmatés, le poids des murs en galets, la poussée des pierres, le charroi du fleuve qui les a lissées, bousculées, entrechoquées, violentées, innervées, la présence fantomatique des pièces vides – demeurent-elles quand personne n’est là pour les voir, les habiter, témoigner de leur existence, garantir leur réalité? Seule avec des rangées de livres, des voix qui chuchotent, appellent, crient, réclament d’être entendues, exigent un lecteur, supplient, menacent, livres qui se font mains crochues pour agripper, retenir – simples liasses de feuilles muettes sans un lecteur pour leur rendre vie, les rendre livres. Seule avec la glycine qui pousse aveuglément, qui pousse continument, qui pousse comme glycine, qui pousse comme la taupe creuse aveuglément, absurdement, qui creuse parce que taupe, qui pousse parce que glycine, qui pousse comme poussent les galets, qui poussent comme poussent les pierres. Poussée immobile des pierres. Poussée silencieuse de la glycine. Poussée aveugle de la taupe. Seule la nuit quand blaireaux, sangliers et cervidés poussent, dans ce même lieu, quand leurs pattes effacent nos pas, quand tu es sommée de dormir, de leur laisser la place. Le monde est là.