#anthologie #06 | La maison dans le virage.

La longue allée d’arbres précède un portail plus souvent cassé qu’ouvert où la peinture a tendance à s’écailler. Nul être ne peut deviner que, derrière cette vieille porte, se dessine, une demeure. Nul être n’aurait même pas l’idée d’y jeter un coup d’oeil. Le vieux portail défraîchi, niché au creux d’un virage, repousse toute envie de s’y arrêter. Nul nom gravé ni même l’ombre d’une boite aux lettres ne peut faire imaginer que derrière le vieux portail, sans sonnette, entouré d’herbes sauvages, folles et mal entretenues. il y a, un havre de paix.

Moi seule, en connais le secret.

C’est doucement qu’il faut remonter l’allée traversée par les chemins tortueux d’une forêt aux ronces envahissantes où parfois, une biche ou un chevreuil se laisse surprendre, avant de s’évanouir en quelques bonds majestueux.

Seul, il vient s’y promener.

Et de là, jaillit un jardin ornementé d’arbres immenses et le regard en saisit instantanément, toute la beauté. Une pelouse fraîchement coupée ou laissée à l’abandon est traversée à pas lents afin d’accéder à un petit jardin tout en verre, pour l’hiver. Une mare aux nénuphars fait entendre le croassement de quelques crapauds et grenouilles pataugeant gaiement sous le vent. Et au bord de l’eau, une vieille balancelle invite à venir s’asseoir, faire danser ses pieds ou simplement goûter le silence. Mais personne n’a le loisir de rester là et de contempler car personne n’y est jamais invité.

Seul, il vient y lire ou s’y reposer.

La demeure est grande. Elle mène les pas dans les dédales de couloirs où, une multitude de pièces se succèdent dans un vide absolu. Pas l’ombre d’un sac, d’un rouge à lèvres, d’un parfum ou de vêtements accrochés dans une armoire. Pas l’ombre de quelqu’un. Seule une chambre et une salle de bains sont meublées.

Seul, il y vit.

A propos de Clarence Massiani

J'entre au théâtre dès l'adolescence afin de me donner la parole et dire celle des autres. Je m'aventure au cinéma et à la télévision puis explore l'art de la narration et du collectage de la parole- Depuis 25 ans, je donne corps et voix à tous ces mots à travers des performances, spectacles et écritures littéraires. Publie dans la revue Nectart N°11 en juin 2020 : "l'art de collecter la parole et de rendre visible les invisibles" voir : Cairn, Nectart et son site clarencemassiani.com.

14 commentaires à propos de “#anthologie #06 | La maison dans le virage.”

  1. oui, c’est tellement doux… l’impression nous prend tout de suite dès le début du texte avec cette idée de secret
    et puis le chevreuil me parle, je le vois, il y en a un qui vient de temps en temps jusqu’au bord de mon jardin
    contente de te retrouver, Clarence

  2. Si contente de te retrouver, Clarence ! Une sensation de paix se dégage de ton texte et de ce lieu qu’il a su si bien créer. Et il y en a qui se demandent à quoi sert la littérature. Elle sert précisément à cela ! Merci, Clarence !

  3. Dans mon jardin, je prends le temps de lire les textes, proposition 6 avant de m’y atteler, la poésie de votre texte accompagne le bruit des oiseaux qui m’entoure, c’est un très beau texte

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