#anthologie #06 | une journée ordinaire

On peut être noyé dans une foule mais être terriblement seul..perdu dans le flot, bousculé, transporté sans espoir de s’accrocher à quelqu’un ou à quelque chose, pressé, compressé, ou tout simplement chercher à esquiver, un flot charriant de vagues humaines, qui se dirigent toutes dans la même direction, aux mêmes heures, pour être avalées ou régurgitées par les bouches de métro…on finit par y rencontrer les mêmes…des inconnus nous deviennent familiers, qu’on a déjà vus quelque part, mais avec lesquels on n’a pas le temps de lier connaissance, pressés par des emplois du temps aliénants…ceux qui sortent, croisent ceux qui entrent, sans égard, sans un regard pour l’autre…ou alors ce regard peut être très furtif quand il se veut sympathique ou plus appuyé lorsque le regardeur est furieux…furieux de devoir s’entasser dans des rames de métro en nombre insuffisant, furieux de ne pas demeurer en surface car on ne peut achever son périple à pied ou à vélo, furieux d’être bousculé, souvent par inadvertance ou plus rarement de manière délibérée, juste pour capter un geste d’humanité, figer brièvement ce mouvement perpétuel d’allées et venues d’êtres, se déplaçant seuls ou par paire..au pas rythmé par une lointaine horloge d’entreprise. De temps en temps, on peut entendre marmonner une vague parole d’excuse pour la bousculade ou bien entendre proférer une insulte rauque pour les plus vindicatifs… timides essais de dialogues non aboutis…malheur à celui qui chute, quasiment dans l’indifférence générale…peu importe la raison, le flot humain sera à peine dévié…le malheureux pourra néanmoins compter sur une âme charitable qui s’enquerra de son êtat de santé…enfin un peu de compassion, un peu de chaleur humaine. Celui çi sera peut être plus chanceux que la victime d’une agression qui aura peu de chance d’être secourue par un de ses semblables, préférant détourner la tête pour ne pas avoir de problêmes…Plus facile d’être un Samaritain que le chevalier Bayard…Dans les moments de stase, quand cette foule contrainte, se fige entre deux stations, ou entre deux feux, ces solitaires anonymes assumés, zombies sans humanité, regard figé et halluciné par un écran de téléphone portable, s’enferme dans une bulle, oubliant son prochain et son quotidien banal et désespérant, pour se perdre dans univers virtuel et souvent fantasmé…ou alors on se considère comme seul au monde, pour passer le temps, qui pourrait être propice aux échanges, de parler de la pluie et du beau temps, avec son voisin ou un inconnu, mais on préfère parler à voix haute au téléphone, en s’adressant à un interlocuteur invisible, de lui parler de tout et de rien, de choses sans intérêt et sans importance, étalage de vie personnelle qui ne regarde personne d’autre que lui…instant de partage pour les plus philosophes d’entre nous…écouter sans parler pour les autres…nouvelle sociabilité urbaine…bien sûr ils ne sont pas tous comme ça…il y a ceux qui lisent, jouent ou regardent une vidéo en streaming sur leur téléphone…mais là encore point d’échanges possibles sur l’auteur du livre ou de la vidéo…plus rien à partager, plus de couvertures de livres à décrypter, ni de titres de journaux à déchiffrer par dessus l’épaule d’un voisin…ainsi vont les choses…ainsi va l’humanité vouée à être solitaire.

A propos de Laurent Damerval

En quête de mots et d'histoires à réinventer

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