#anthologie #06 | La femme-Auguste juste avant

(juste avant ça : https://www.tierslivre.net/ateliers/anthologie-05-la-femme-auguste/)

Les objets dessinent des silhouettes isolées, tentent en vain de se rassembler dans le bleu de l’aube : tasse, sucre, drap de lin, pot de confiture. Soudain elle connait chaque chose, le lustre, le guéridon, l’armoire, et chaque chose est seule. La poussière n’est qu’un amas de particules seules, agitées pour rien. L’homme qui dort près d’elle n’est qu’un halo coloré dont elle cherche le nom — bisque, blanc cassé, chamois, coquille d’oeuf, cuisse de nymphe, écru, flave, jaune de Naples. Les mots sortent de l’homme pour courir le long des murs. Elle voudrait boucher les orifices, garder les mots dans le corps de l’homme. Plus il se vide, plus elle est seule, et plus il se vide. Les mots s’échappent d’elle à grande vitesse, forment des lacs gelés aux pieds du lit. Elle s’arrache aux draps, elle court, elle sort, nue. Sous les regards affolés des redingotes, elle crie que les mots sont partis, que les mots sont seuls maintenant, dans les haies taillées, dans les os des animaux morts. Personne ne l’entend, elle n’entend plus personne et porte seule son corps devant elle qui dessine des spirales. L’homme est sorti du lit, il la maintient, il évite son regard d’où elle ne le voit plus.

A propos de Lisa DIEZ

Chercheuse polyvalente, sorte d'artiste tout-terrain. Valises posées depuis 5 ans dans les arts de la scène. Passages par la peinture, le documentaire, la photo… Et l’écriture, soutien fidèle de ces nombreuses traversées. Deux sites : www.soinartistique.fr (Collectif À la Source) et www.atelierdiez.com (vrac et chantiers).

Un commentaire à propos de “#anthologie #06 | La femme-Auguste juste avant”

  1. Seul, quand rien de communique. Les premières phrases font mouche. « chaque chose est seule ». Je trouve ce texte très prometteur. Merci.