#anthologie #06 | impuissance

laissée en rade dans le bois, plus que les arbres devenus si grands, plus que le silence, et ses bruits, devenu si grand ; ce qui paraissait familier ou du moins semblait l’être retourné comme un gant hérissé de dents; tout plus vaste, tout plus vide et plein ; dans la cour à l’écart avec son habit de feuilles, une grosse tête trop grosse avec qui personne ne joue ; solitude du monstre, solitude de la bête, du mourant ; moi tout seul, crie l’enfant joie, mais ne ferme pas la porte, ne réveille pas les ombres ; seule en nuit de chaque soir d’enfant : peur ; et l’impartageable douleur sans raison derrière sa vitre de fer : et les mots de façade quand seule au milieu de tous ; je me souviens être enfermée dans ce TGV vide cinquante-sept minutes comme des heures et les sièges me regardent ; je me souviens de la nuit de ce théâtre, de ce plateau plein feu où je peins jusqu’à l’aube et tous ces fauteuils me regardent ; solitude peuplée d’ombres ; seule et l’espace et le temps élargis, accroissement d’être, incandescente présence ; ouïr, voir, sentir; ce que vous devrez craindre plus que tout c’est elle, c’est elle la rivale absolue: Oh solitude : »my sweetest choice » ; Emily se penche vers la colline; comment écrire une ligne sans être seule, comment voir sans être seule; enfin seule, choisir l’aube la rejoindre ; solitude joie d’heures à soi hors de soi ; remontant juin seule ; bleu noir du ciel tendu à blanc, une péniche passe, guirlandes By-Night ; visages, bras qui se lèvent pour saluer, rires de pont à rive arrachés à l’ombre; eaux fortes chavirées de lueurs et voix qui se touchent ; n’être au long de personne : aller seule, libre enfin ; je traverse des flaques jaunes, je frôle un tas d’immondices, quelqu’un s’est enfoui sous une bâche ; la rive pue ; arbres et façades coulés au noir; une fenêtre s’éclaire, elle creuse une scène ; bientôt un verre se brise ; le parfum d’une robe me frôle, elle disparait sous la tour des bouchers ; demain encore être seule ; une voix bruit sans adresse, c’est Rilke je crois ; et coule la Seine

A propos de Nathalie Holt

Rêve de peinture. Quarante ans de scénographie plus loin, écrit pour lire et ne photographie pas que son lit.

5 commentaires à propos de “#anthologie #06 | impuissance”

  1. Les mots de la solitude partis du bois finissent par couler dans la Seine, je prononce « les mots de façade quand seule au milieu de tous », je rejoins Emily « enfin seule » pour écrire et voir, je prends pour moi « remontant juin seule » tellement ça me parle et « n’être au long de personne ». Finalement je lis un texte puissant ; pourquoi ce titre d’impuissance ? En tout cas, merci Nathalie, de nous engloutir dans ce flots de mots.

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