#anthologie #06 | Dispersés

Marco, tu te rappelles, tu te souviens, Marco notre joyeux tintamarre de jeunes fous lancés dans la vie au triple galop, Marco, nous ne sommes plus que deux séparés par huit-cents kilomètres de campagnes, de forêts, de vignobles, de montagnes. Séparés plus encore par des années de vies à construire, de pensées divergentes, d’enfants à élever, de deuils intimes auxquels nous nous sommes associés de loin en loin. Plus encore que moi, tu t’es retrouvé face à des dizaines de verres vidés sur des comptoirs d’oubli, je ne suis pas sûr que tu en sois revenu moins altéré par l’horreur des distances, des nuits, moins seul pour nous avoir un moment lâchés, Luc, Hube dit Louis, Jiel, Clairette dite Roger, Max dit moi-même, j’en oublie, bien sûr, vacherie de mémoire. Du trou sur une hauteur où j’ai planté ma hutte partent des signaux de fumée, trop vite dissipés pour y lire mon désespoir ; je ne suis pas certain de connaître les codes à employer, trois cumulus pointillés, trois cirrus étalés, trois nimbus pointillés pour SOS, sauvez ogre solitaire, non, plutôt Solitude ô Solitude comme dans le divin Purcell. Nous ne savions pas, perchés sur les murs boiteux de notre bastide luberonne, serrés, jambes pendantes, que ces temps gracieux n’étaient qu’une grâce du temps, que les liens entre nous se casseraient au premier vent mauvais, ne nous laissant en bouche que le goût acide de nos gauloises.

Je t’écris, Marco, parce qu’écrire, ce qui me reste, peut se faire en solo, comme des gammes au saxo, j’écris notre histoire de solitaires un moment réunis par une faim d’ogres née de la guerre, dispersés par une paix qu’ils n’ont pas su construire.

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