Sans la présence des autres, je ne me sens pas seul. Mais sitôt que l’un d’eux surgit, je deviens Bernard-l’ermite. Petit Bernard, moyen Bernard, gros et gras Bernard, gigantesque coquille fabriquée par la somme augmentée, de jour en jour, des impressions de solitudes traversées. Lumière et prisme. L’ermite, l’ermitage, ces mots m’attirent sitôt que je pense à la présence des autres. Et c’est souvent, et ce de plus en plus, dans le fond tout le temps. C’est là-dedans que je me réfugie.
Puis, une fois arrivé là, mystère, je les oublie. Je plonge tout entier dans l’oubli des autres, et je m’efface, je m’efface comme une tache de cambouis sur un petit costume tout neuf. C’est peut-être toute cette saleté que je gratte, racle et frotte qui fait la matière essentielle de ma forteresse de nacre.
Ce n’est pas tant que je déteste les autres, mais plutôt que je ne sache par quel bout les prendre ou les délaisser. Ils sont là et aussitôt danger, alerte c’est l’oppression. Ils m’écrabouillent pour ainsi dire par leur volonté, leurs envies, leurs invitations, leurs invectives, leur présence silencieuse, encore mille fois pire.
Je me cache derrière une façade, un rideau de pluie, partout : dans la ville, les trains, les rues, les vignes au moment des vendanges. Je flâne après le passage des glaneurs. La joie de tomber sur une patate sur cette terre ratiboisée.
Une fois l’an, c’est l’heure des vacances. Tous les Bernard-l’ermite des environs se réunissent. Ils s’alignent en rang d’oignon face à une coquille vide. C’est l’heure, dit-on, de changer de crèmerie. Chacun s’enhardit à sauter par-dessus son voisin, petit à petit, et surtout à cavaler tout nu sur le sable pour aller tenter sa chance.
Et de se sentir pousser presque des ailes, poussé par tout le désir du monde d’avoir à nouveau un logis, une place, même temporaire, même éphémère, une nouvelle coquille.
Ensuite, chacun retourne à ses occupations comme il peut. Il n’y a ni vainqueur ni perdant. Seulement en avoir ou pas, à la fin quelqu’un conclut toujours en disant c’est la vie. Et c’est tout.
» Coquille fabriquée par la somme augmentée, de jour en jour, des impressions de solitudes traversées… » voilà qui présage une coquille d’ampleur… « une forteresse de nacre », belle métaphore… merci!