Je suis Marie-Madeleine Collin née Dupire à la Souterraine dans la Creuse le vingt-sept février mille neuf cent cinquante-deux à zéro heures vingt minutes trois rue Raymond Joyeux ; je suis Marie-Madeleine Dupire épouse Collin née à huit mois et une semaine à la force des fers, déclarée fille de Jacqueline Armande Dupire et de personne ; Jean me suis dit en dedans au tréfonds, Jean me suis dit pour personne en père : je suis Marie fille de Jean Personne, marin mort en mer me suis dit dedans, Marie fille de Jean Personne me suis dit sous les coups de mère ; Jean pour personne en père ; Jean sans corps, ni croix, ni terre disparu en mer, Jean mon père j’ai dit, Je suis Marie fille de Jean j’ai dit au tréfonds sous les coups de mère ; me voyant tenant sa main, par les rues et par les champs à son cou ou à son bras ; rue André Poutonnet Bridiers, rue de L’age Bouvier, rue du Peu Sedelle, à travers la dentelle on voyait les rubans, les boutons, les robes ; je suis Marie fille de Jean Personne ai dit en dedans sans bruit sous les coups de mère, Marie je suis, Marie née de la mer et de Jean, avec jambes et bras et vingt doigts, deux oreilles, des cheveux en centaines, et cris de joie, Marie fille de Jean ai dit sous les coups de mère en dedans. Je suis Marie Dupire épouse et veuve Collin née de Jacqueline Armande Dupire et de père inconnu ou personne le vingt-sept février mille neuf cent cinquante-deux à zéro heures vingt minutes trois rue Raymond Joyeux à la Souterraine dans la Creuse ; née à huit mois une semaine, quarante centimètres et moins de trois kilos, grandie sans bruit et battue de mère; je suis Marie Madeleine Dupire placée à Troie, puis à Tenon ; gouvernante puis aide-soignante à Tours; épouse puis veuve sans enfants de Jean Antoine Collin mort le trois mars mille cent neuf cent quatre-vingt-dix-huit rue de la Fuy en traversant : Je suis Marie Personne, j’ai dit, c’est toi le corps de la parole, sors de ta nuit
C’est superbe ! et comme ça arrache quand on lit !
Merci pour ton texte. Les choix des noms propres : La Creuse, La Souterraine… Marie fille de Jean Personne perdu en mer battue de mère. tout cela est superbe ! Et les cris de joie soudain et cette chute : C’est toi le corps de la parole, sors de ta nuit Merci
Merci Nathalie pour ce texte crescendo. Musique prenante syncopée de ces « en dedans » et des violences de « mère ». Très fort.
peut-être l’ai-je rencontrée en allant faire mes courses à la Soute comme on dit ici…
je lis encore une fois : « Je suis, Marie née de la mer et de Jean, avec jambes et bras et vingt doigts, deux oreilles, des cheveux en centaines, et cris de joie », et ça revient comme une litanie…
Christine, Françoise, Ugo, Françoise, merci d’être venus lire (je n’y arrive pas là tout de suite je vais me ratrapper)
Magnifique
Merci Piero
Merci pour ce très beau texte. Que d’émotion en lisant…
Merci beaucoup Isabelle, tenté d’approcher les rythmes de Novarina ( être plus ou moins dans la matière et la forme des textes d’appui)
ça emporte oui, une litanie, à lire à haute voix, encore !