Une femme qui porte son corps devant elle.
Je ne peux m’arrêter de m’inquiéter. Je sens les fourmis dans les jambes. Ça commence toujours comme ça, l’inquiétude. Parfois, je ne sais pas encore quelle pensée est à la source de ce fourmillement qu’il s’est déjà répandu jusqu’à mes genoux. Je les sens qui se tendent, comme pour empêcher qu’il remonte encore plus, pour m’envahir tout entière. Ce que je déteste le plus, c’est cette engourdissement de ma bouche qui devient pâteuse. Alors les mots se déforment avant de sortir à l’air libre, et ce n’est plus ce que je voulais dire qui se fait entendre. La déconnexion entre moi et le monde devient insurmontable. Je suis là, grignoter par ces fourmis, et plus personne ne peut percer le mystère de ma condition car il n’est plus audible. C’est à ce moment-là qu’arrive cette envie indomptable de pleurer. Et de me sentir sur le point de pleurer, j’en pleure de rage. Je ne veux pas qu’on voit mes larmes, et comme je ne veux pas qu’on les voit et qu’elles paraissent quand même aux yeux de tous, mon visage rougit par l’effort que je fais pour les retenir. Et elles glissent le long de mes joues. Je suis laide. Je les essuie avec mes doigts, mais eux aussi me trahissent, tout crispés qu’ils sont, incapables de rester souples et déliés et élégants. Paradoxalement quand je croise mon reflet dans un miroir l’heure d’après, je me trouve jolie, j’ai le teint frais, légèrement rosé, les yeux brillants, le regard très clair, les cils définis, et ma bouche est bien rouge.