#anthologie #05 | L’homme-toupie

Mais moi, je l’ai ressentie comme tout le monde, cette violence tout au fond de soi qui vous fait comme des fourmis dans les bras, tellement que ça vous brûle de l’intérieur tous ces abandons. La peur et tout ce qui va avec. Les sommeils en retard. Les tracas qui tournent comme une toupie au fond de la tête (se dire qu’au-delà de la maison il y a la forêt). Ça vous creuse en dedans comme une tique qui vous boufferait les pores sous la surface. Et cette toupie-là, on la prendrait bien entre nos mains, comme une histoire qu’on aurait aimé voir advenir. Une histoire très en lien avec la terre. Avec le récit des autres qui vous attachent mais qu’on craint. Et à qui il faut bien rendre visite. Parce qu’ils nous plongent dans une autre temporalité. Une autre séquence. Sans les contours habituels qui emportent. Je dis alors cette toupie, moi je la prendrais bien dans la main pour en avoir le cœur net.  Et en éprouver les contours. Ressentir une bonne fois sa texture et la tendre à celui d’à côté, le plus léger que moi. Pas pour me venger, ni m’en débarrasser, mais pour qu’il comprenne, qu’il imprime une bonne fois ce que ça fait d’entendre quelqu’un dans son supposé silence. Où c’est une maison sans mur et sans meuble. Juste un tabouret de fortune, avec une petite planche en bois, et quelques verres à pied qui sont posés là, tout près, à la lisière des autres. Et les mines qui vous regardent de biais. Ou pas bien en face. Des corps tout confinés les uns aux autres au fond d’une cave bruyante. Des solitaires agressifs recroquevillés contre des murs. Contre une multitude de vies que les forces de l’attraction, et les désirs qui font vriller, choisissent pour se sentir éternels le temps d’une étreinte. Alors quand dès les premières pluies je comprends que ça peut cesser de tourner, je fonds de toutes mes forces vers la maison.

A propos de Camille Bréchaire

Camille Bréchaire vit et enseigne la littérature à Angoulême. Il lit et écrit dès qu’il le peut.

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