#anthologie #05 | l’homme sans cœur

Grave de Poix tête des yeux les collines dans l’espoir de voir Barbe Bleue venir à son giron. Pas loin de Cannes, Niké allaite la truie de fer du Claude qui ne sut jamais rien faire de ses dix doigts amputés à la guerre des boutons. Et pendant ce temps-là (haut et court), Romus et Romulus, le suc, le nectar, l’arôme de Michelle (ma belle) mangent leur soupe d’ortie puis babillent, jouent et montent là-dessus pour voir Montmartre et le pain de Sucre en bons sacripants. Un cœur brûlant bat au-dessus des nuages noirs d’un ciel bas. Paris siffle son clebs pour qu’il ramène ses moutons là-bas, au pied du mont Ida. L’homme sans cœur apparaît à cet instant. Il marche en retrait de lui-même, avec un air de circonstance. On enterre ses illusions après les avoir vendues à l’encan au marché de Cent coin.

Petit à petit, avec des avancées minuscules, de grands mouvements télescopiques d’antennes et de moustaches, de grands airs majuscules, les insectes suivent le cortège. Certains ont dévalé les pentes du Cluseau, d’autres roulent comme des boulettes depuis Chazemais et Villevendra avec leurs gros ventres gras. D’autres encore viennent à pied ou en rampant de Montluçon. Ils implorent qu’on monte le son.

Le porte-parole à qui l’on a donné du foin pour qu’il fasse l’âme fait un test de porte-voix. Le Larsen ondule sur la campagne, crispe les tympans des églises, projette une ombre sur l’ombre. Des cavaliers montés sur des mules jaillissent depuis la rue Labas. Venus d’Ombrie avec leurs bicornes, leurs fusils, leurs coupe-coupes, leurs grenailles et lances, pareilles à des mats de cocagne érigés pour assassiner les rêves.

Tout ici pue le bobard, le crevard, la pacotille, dit l’abîme derrière l’homme sans cœur (on dirait un zombi de Zanzibar échappé de la téloche cathodique radicale).

Personne ne le reconnaît, mais tout le monde en parle à tort et à travers. C’est comme ça que le grand boursouflé du bulbe reconnaît ainsi les siens — qui ne descendent ni des Huns ni des Hurons ni des Mohicans, ah ça non. Mais plutôt de la tribu des Collabes qui poussent comme du chiendent près Tronçais, Saint Bonnet, Meaulnes ou encore Saint-Amand dit de Montrond à cause des ronds de cuir et ronds de jambes qui pullulent là-bas.

Sur la route d’Epineuil, la jeune Albertine verse une larme de crocodile, s’ébaubit, se pâme, se jette dans une danse de Saint-Guy, éperdue. Certains tentent de la retenir, tous l’oublient vite.

L’homme sans cœur va bientôt prendre la parole comme il peut, poussé par une cruelle nécessité et ça vaudra pour nous tous. Patience est chaude, et dans l’azur trépigne d’impatience. Le temps s’écroule lentement, emportant les maisons, les cabanes, les châteaux d’eau, l’hôtel de ville, les nids d’aigle, de poules…d’étourneaux.

« Attention c’est parti il va parler,- dit un héraut après avoir sonné du cor au pied de la tour d’Hérisson.

Le monde retient son souffle, silence général.

« Je Je Je ! … »

Voilà, on est à peine arrivé à la fin que c’est déjà fini.

Tout le monde dit remboursez ! Puis la foule se lasse, rentre chez soi, espère des lendemains qui chantent.

L’abîme grommelle derrière l’homme sans cœur. Il veut lui adresser des reproches, mais il le rate à Désertines, de peu.

A propos de Patrick B.

https://ledibbouk.net ( en chantier perpétuel)

2 commentaires à propos de “#anthologie #05 | l’homme sans cœur”

  1. Merci de l’avoir fait exister votre homme sans coeur. Et quelle langue !