anthologie #05 | Le froc à Wenn

Je suis Wenn. Je me défroque, puis je bondis sur mon lit et je me refroque, c’est le jeu, se refroquer avant d’atterrir comme ça sur le lit, se rattraper. Je suis Wenn, des fois j’y arrive. Je me jette sur le lit et je me refroque. Je me pousse un peu, je m’encourage, de derrière. J’arque le dos. J’avise un peu le travail. Je réfléchis. J’ajuste le mouvement. Je suis Wenn, je le jette sur le lit le corps, je le lance. Et, je remonte le froc… Je revois le saut, je fignole, penche la tête sur le côté, penche la tête de l’autre côté, pour mieux observer la trajectoire, observer ma propre tête, parce que cette fois-là, j’atterris sur le lit avant que de réussir à remonter le futal. Je repasse le film du sauté raté. La gravité est parfois plus balèze que l’agilité. Je suis Wenn, j’aime la précision. Il faut de la rigueur dans l’absurde. Je suis Wenn, je n’ai pas le temps pour ces justifications. Je fais mes calculs. S’il prend de l’élan et fait mine de sauter un obstacle imaginaire, ce corps s’élève davantage, ce qui laisse donc un fragment de seconde en plus pour parvenir à remonter le futal. Toutefois dans l’espace limité par les murs de la chambre, la course est entravée, la force d’impulsion réduite. Il s’agit alors de projeter ce corps de plus loin, de réagencer l’espace, de réagencer l’ensemble que je forme, Wenn, corps, espace. Je dois repenser le complexe Wenn-corps-chambre. Depuis quatre semaines, à raison d’une dizaine de fois par jours, je dirige avec art et patience, ce lancer de corps. J’ai désormais ouvert le complexe Wenn-corps-chambre, ce corps je le projette depuis le bout du couloir. J’ai des projets grandioses. Je suis Wenn, je le balance à l’autre bout de la ville ce corps qui court en boitant avec son froc en bas des genoux, je l’emmène loin, il traverse les rues, les trottoirs, les passages piétons, je l’attire jusque dans le couloir, je le coince pour qu’il se dirige vers la chambre en fermant les autres portes, je lui trouve je ne sais quel leurre pour qu’il se projette là à nouveau sur le lit, remontant le futal. Je suis Wenn il est 20h, il est grand temps de lui laisser un peu de répit à ce bon copain, le glisser entre les draps, le mettre au repos : dans quelques mois, les JO.

A propos de Marion T.

Après tout : et pourquoi pas ?

2 commentaires à propos de “anthologie #05 | Le froc à Wenn”

  1. Beckettien et Keatonnien (Buster) ce Wenn ! Très drôle en tout cas. Un plaisir à lire à voix haute. Juste dommage, je trouve, la phrase méta: « il faut de la rigueur dans l’absurde ». Elle m’a éjecté (momentanément) de l’histoire.

    • c’est « une » Wenn, c’est une petite fille de 4 ans. Mais après tout je pourrai aussi bien ne pas le/la genrer. Pas tant du méta que l’affirmation un peu sentencieuse d’un môme qui fait des trucs incompréhensibles avec application et vous observe impassible quand vous riez comme pour vous demander quelle sorte de gamin vous pouvez bien être vous même pour ne pas saisir la gravité de l’affaire. Mais le reste suffisait en effet, pas besoin de cette phrase.

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