On ne s’estime pas heureux quand le visage déclenche les mots désagréables, les sourires de biais, le sans-gêne tirailleur. L’arrière-grand-mère en souffrit depuis ce temps, où même l’école était à peine suivie, sans escale de bien-être, où le travail percute et relance un autre labeur, où même l’école est une assignation, puis vastes années plus loin, la grand-mère et puis la mère en souffrirent, de ces regards petits. Il n’y a pas d’hommage possible à ceux qui s’autorisent le mépris, à tordre et cavaler dans le rire ambiant. Pourtant, ne manquaient pas d’humour, les femmes rêveuses, fendues, frondeuses sous le saccage. Ma mère finit enfermée dans un pensionnat pendant sept ans. Elle écrivait au monde entier, les correspondants du Vietnam, du Cameroun, du Chili. Elle collectionnait les timbres, les photographies, les longues lettres de patience dans l’internat soulevé de bruits, de fatras et de rires. A leurs yeux, elle restait un pré sans joie, criblé de mauvaises herbes. Ils l’arrachaient à pleines mains pour défricher son monde. Fallait qu’elle s’arrange, cette pauvresse.
Un homme différent, il endosse, il s’arme, il avance dans le tas.
Mais de cette matière indéfinissable, la fille est cravachée en animale de somme.
Il paraît que les traumas passent à travers sang dans les générations. Aussi ai-je été si vigilante au moindre signe de harcèlement parmi ceux qui, parmi les jeunes, les saloperies sur lieu de travail, la gorge se serre, on reste fixer la scène, on ouvre la bouche, le corps tendu droit devant : regarder sans parler, les yeux voient, dire ce qu’on a vu, le dire deux fois, regarder, et redire. Jusqu’à temps que le rire s’écrase dans son trou, et ne revienne jamais.
A la nuit tombée, il faut tout éteindre. Pour être libre.