Séraphine porte son corps devant elle. Son corps va plus vite qu’elle quand il faut courir. Elle court après son corps qu’elle n’arrive pas à rattraper. C’est un corps rapide qui lui échappe, un corps encore frêle qui bondit d’un côté de l’autre, zigzague entre les arbres, se dépêche de rentrer à la maison avant qu’ils se rendent compte qu’elle est allée à la grotte. Le corps de Séraphine est déjà à la maison mais sa tête est encore dans la grotte. Ses yeux sont restés fixés sur la couverture et sur les enfants sous la couverture mais ce sont des yeux sans corps, parce que son corps a fui ce que ses yeux ont vu : sous la couverture, des corps aussi, des corps sans rien devant eux sinon cette couverture, des corps si maigres qu’on dirait que la couverture ne couvre rien, mais Séraphine doit au plus vite rattraper son corps qui déjà s’est blotti sous une couverture plus douce que celle de la grotte, dans une chambre chauffée, un corps au chaud quand elle, Séraphine, reste grelottante dans la forêt. Mais soudain elle court, il ne faut pas rester si loin de son propre corps, on risque de ne pas le retrouver, alors elle accélère, elle reprend du terrain sur son corps qui se fatigue à tenter de lui échapper, elle est à deux doigts de le toucher, ce corps à deux pas devant elle, elle est sur le point de le retrouver, de l’étreindre, de le fondre en elle, ce corps qui a refusé de voir ce qu’il y avait dans la grotte et qui ne veut pas qu’elle revienne en lui dans cet état, ce corps qui a peur de Séraphine, ce corps qui aurait préféré n’y être jamais allé, dans cette grotte, ce corps qui restera, quand il aura grandi, quand il se sera empâté, quand il aura vieilli, toujours ailleurs qu’à l’endroit où Séraphine est restée, figée pour toujours à l’entrée de cette grotte où des corps restaient sans rien devant eux.